S’ils avaient défini une stratégie électorale réaliste plutôt que de passer leur temps à fulminer contre Donald Trump et à rêver d’une illusoire destitution, les démocrates ne seraient pas là où ils en sont aujourd’hui : sous l’emprise grandissante d’une aile gauche dont le programme trop radical risque d’assurer la réélection de Donald Trump… et avec Joe Biden comme seul candidat jugé capable de vaincre – peut-être – l’odieux locataire de la Maison-Blanche.

Après les deux débats de cette semaine entre 20 candidats à l’investiture démocrate, Joe Biden reste le meneur. Signe que la politique n’attire plus the best and the brightest, ce pays de 330 millions d’habitants n’a pas vu émerger une figure neuve et enthousiasmante susceptible de ramener les démocrates au pouvoir.

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Les participants au débat de mercredi, qui se tenait au Fox Theatre de Detroit.

Car ne nous méprenons pas, ce président ne sera pas facile à battre : l’économie va bien, le taux de chômage est au plus bas, et Trump tient solidement sa base, qui se renforce à chaque nouvel assaut des démocrates.

Joe Biden vient d’une autre époque. Il s’adresse (en aparté) à Kamala Harris, une sénatrice de 54 ans, en l’appelant « kid » (« bébé » ou « ma petite »). Il confond texto et site web. Il est sympathique, flexible, il a tout vu et est revenu de tout. Sa longue carrière est une mine d’or pour ceux qui veulent le prendre en défaut ; on n’a qu’à piger dans des actes, des citations ou des discours échelonnés sur un demi-siècle.

En revanche, c’est justement son expérience politique qui a permis au « vieux pro » de résister, mercredi soir, aux attaques successives de neuf concurrents… dont le plus efficace a été le sénateur du New Jersey, Cory Booker, qui lui a reproché une législation « anticrime » nuisible à la communauté noire, de même que son habitude de s’accrocher aux basques d’Obama quand cela fait son affaire. Booker a été la révélation de ce dernier débat.

Cette fois, Joe Biden a facilement eu le dessus sur Kamala Harris, jusqu’à l’acculer dans les cordes à propos de son nébuleux plan d’assurance maladie. Mme Harris, l’étoile montante du débat de juin, s’est emmêlée dans des explications confuses. Tout au long du débat, elle a paru tendue et désorientée. Il faut dire que Tulsi Gabbard lui a donné un dur coup en l’accusant d’avoir utilisé des méthodes répressives quand elle était procureure générale de la Californie.

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Joe Biden et Kamala Harris

C’est une autre femme qui s’est affirmée comme l’étoile de cette deuxième ronde de débats : la sénatrice Elizabeth Warren, brillante juriste, ex-professeure à Harvard, septuagénaire comme Joe Biden.

Dans la confrontation de mercredi, elle a éclipsé les autres candidats par son intellect, sa combativité et son sens de la formule.

Toute menue, intense, habitée par une irrépressible colère intérieure et la certitude absolue d’avoir raison, la voix perçante et l’index vengeur brandi comme une arme, elle évoquait par moments les furies des tragédies grecques. Ce sera formidable de la voir, dans un futur débat (quand les candidats de moindre importance auront été éliminés), face à Joe Biden. Mais on ne la verra jamais dans un face-à-face avec Trump, car à moins que les démocrates aient vocation au suicide collectif, elle ne gagnera pas l’investiture.

Ses projets, très radicaux, vont épouvanter l’électorat que les démocrates doivent absolument attirer. Nombre de sympathisants démocrates, électeurs d’Obama, sont restés chez eux en 2016 parce qu’ils trouvaient Hillary Clinton élitiste, distante et trop technocratique. Ceux-là seraient encore plus allergiques au style « maîtresse d’école dominatrice » de la sénatrice Warren.

Comme Bernie Sanders, mais avec beaucoup plus d’éloquence, Mme Warren a bravement fait face aux attaques soutenues de cinq candidats modérés… qui ont ainsi rendu un fier service à Joe Biden en faisant la « job sale » à laquelle ne peut s’abaisser un meneur soucieux de rassembler les troupes. D’où la manchette du New York Times décrivant Biden comme le « vrai gagnant » de ce débat de mardi… dont il était absent.

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Bernie Sanders et Elizabeth Warren

Bernie Sanders en est à son dernier tour de piste. Mardi, il avait l’air plus que jamais d’un angry old man, hurlant le même boniment en agitant les bras comme s’il voulait s’envoler. Dommage qu’il ne s’envole pas tout de suite, car Warren occupe le créneau de gauche avec beaucoup plus d’esprit.

Les bonnes performances de Cory Booker et de Julián Castro, l’ancien secrétaire au Logement d’Obama qui a particulièrement brillé sur la question de l’immigration, pourraient leur permettre de détrôner des vedettes de second rang comme Beto O’Rourke, qui a déçu tout le monde, et Peter Buttigieg que l’on n’imagine pas président, aussi réfléchi et cultivé soit-il.

D’autres personnalités intéressantes se sont affirmées, comme le sénateur Michael Bennett, qui respire la sagesse, et le représentant de l’Ohio Tim Ryan, l’un des rares politiciens démocrates qui soient restés proches de la classe ouvrière syndiquée que les démocrates ont pratiquement abandonnée. Ou encore Steve Bullock du Montana – un gouverneur démocrate dans un État républicain !

En prime, quelques candidats atypiques comme Tulsi Gabbard, une ancienne marine, et Andrew Yang, un entrepreneur intelligent et futé, l’élément bizarre étant Marianne Williamson, une auteure qui croit aux « forces psychiques de la noirceur » et professe que la maladie est une illusion.

Portrait d’ensemble des aspirants de 2019 : un groupe âprement divisé entre radicaux et pragmatistes, mais uni par une certaine indifférence au reste du monde. La plupart se méfient des traités de libre-échange. Sur l’assurance maladie, jamais une allusion aux modèles européens, pourtant riches d’enseignements. La vision du tandem Sanders-Warren s’arrête au modèle canadien, qu’ils connaissent d’ailleurs très mal.

Seul un minuscule segment des débats était réservé à la politique internationale, et encore, l’unique enjeu sommairement abordé était le retrait des troupes de l’Afghanistan et de la Syrie – signe que les États-Unis s’isolent de plus en plus…

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