Finalement, l’Europe ne va pas si mal, et le président Macron s’en tire mieux qu’on ne le croirait à première vue.

L’Europe paraissait menacée d’effritement graduel, mais l’aventure épouvantable du Brexit a agi comme un puissant repoussoir. La tendance sécessionniste est partout en recul. Et si l’on en juge par le résultat des élections européennes de dimanche, le camp des europhobes s’est à peine agrandi.

En fait, ce dernier n’aurait que cinq sièges de plus qu’aujourd’hui dans le futur Parlement de Strasbourg, si la Grande-Bretagne n’avait pas participé au vote (ce qui aurait été logique, sa sortie officielle n’étant qu’une question de mois). Les « Brexiters » ont donné 29 sièges aux europhobes de Nigel Farage… mais le mandat de ces élus sera par définition temporaire.

Le cauchemar du Brexit, qui fait de la fière Albion la risée du monde, a eu l’effet d’un vaccin antisécessionniste.

Les champions du repli nationaliste et de la ligne dure face aux migrants — Marine Le Pen en France, Matteo Salvini en Italie ou Viktor Orban en Hongrie — ne parlent plus de sortir de l’Europe. Ils sont devenus des « eurosceptiques » plus ou moins résignés à rester dans l’Union européenne… en la changeant radicalement.

Ils réclament, par exemple, la fermeture étanche des frontières, le rapatriement des pouvoirs de Bruxelles vers les gouvernements nationaux… bref, la transformation de l’Europe politique actuelle en simple marché commun économique avec monnaie commune.

Quoique plus fractionné qu’auparavant, avec la percée modeste des Verts (20 sièges de plus, surtout forts en Allemagne) et la montée de l’extrême droite (surtout forte en Flandre et en Italie), le futur Parlement européen restera en pratique sous le contrôle de groupes modérés, du centre droit aux sociaux-démocrates en passant par les libéraux centristes façon Macron.

Avec 70 députés sur 751, les Verts compenseront leur faiblesse numérique par le militantisme qui les a toujours caractérisés, dans ce Parlement où beaucoup de députés des partis traditionnels sont aux abonnés absents.

Autre élément-clé du bulletin de santé de l’Europe, la participation a été plus importante qu’auparavant, dépassant en moyenne la barre des 50 %.

Preuve que l’Europe n’est plus, pour bien des gens, cette superstructure lointaine et abstraite, sans rapport avec la vie quotidienne.

Cela tient évidemment au fait qu’avec les années, le Parlement européen a accru ses pouvoirs, mais peut-être aussi au fait que les Européens ressentent le besoin de s’unir, face au terrorisme international, à la menace climatique, à la crise migratoire, à la montée de la Chine, face aussi au vacuum laissé par la présidence de Donald Trump, qui est encore plus indifférent sinon hostile à l’Europe que ne l’était Barack Obama.

Autre phénomène nouveau, la mobilité professionnelle aidant (il y a moins de barrières entre les pays d’Europe qu’entre les provinces canadiennes), les jeunes sont nombreux à « se sentir » européens en même temps que citoyens de leurs pays respectifs. Autrement dit, ils développent peu à peu une double identité.

En France, la République en marche (LaREM) d’Emmanuel Macron a été battue de peu au fil d’arrivée par le Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, le seul parti à avoir tiré profit de la fronde des gilets jaunes. Mais le RN semble avoir atteint un plafond.

En effet, malgré sa mince victoire numérique, et malgré le formidable coup de pouce des gilets jaunes (dont les propres listes ont récolté moins de 1 % des voix !), le RN fait du surplace par rapport à ses scores antérieurs.

Comme les élections complémentaires au Canada ou les élections de mi-mandat (midterm) aux États-Unis, les élections européennes ont toujours servi à sanctionner un gouvernement rendu au milieu de son mandat. Emmanuel Macron n’y a pas échappé. Il est toutefois clair que s’il s’était agi d’une élection présidentielle, voire législative, toutes les voix qui se sont éparpillées cette fois-ci entre plusieurs listes — de même que les nombreux abstentionnistes —, se seraient regroupées derrière le candidat le plus mieux placé pour stopper le FN.

Malgré l’humiliation que représente cette deuxième place, le président Macron a encore un boulevard devant lui : aucun des deux grands partis de gouvernement (la droite modérée des Républicains et le Parti socialiste (PS)… ou ce qu’il en reste) ne sera en mesure de lui faire contrepoids aux prochaines élections.

Les Républicains ont perdu la moitié de leurs électeurs de 2017 au profit de LaREM de Macron, et tous les partis de gauche se retrouvent au-dessous de la barre des 10 %.

Le PS, qui était au pouvoir il y a seulement deux ans, est rendu à 6,3 % ! Du côté de l’extrême gauche, ces élections européennes confirment la mort du Parti communiste, qui s’étiole à moins de 3 % et qui ne survit qu’à travers quelques syndicats radicaux du secteur public. Le piteux résultat de La France insoumise, enfin, semble sonner la fin de la carrière orageuse de Jean-Luc Mélenchon.

En France comme en Allemagne et dans le nord de l’Europe, les Verts ont de quoi se réjouir, avec la troisième place et 13,5 % des votes, un score plus élevé que prévu.

Si LaREM de Macron a réussi à phagocyter une partie de la droite républicaine, les Verts, abandonnant définitivement leur ancienne alliance avec les socialistes, se sont eux aussi recentrés. Cela leur a permis de recruter à droite autant qu’à gauche. Mais à moins d’un séisme idéologique et de l’apparition de leaders extraordinairement inspirants, les Verts resteront encore longtemps loin du pouvoir, sinon celui d’influencer les gouvernements et de détenir à l’occasion la balance du pouvoir dans certaines circonscriptions urbaines.

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