Le rouleau compresseur est en marche. Après une consultation publique éclair (six jours à peine) d’où ont été exclus la plupart des groupes religieux qui en seront victimes, le projet de loi 21 sur la laïcité sera probablement adopté sous le bâillon, sans débat parlementaire.

Ce processus antidémocratique convient parfaitement à un projet de loi discriminatoire. Un projet qui constitue une atteinte grave aux droits individuels garantis par nos chartes, qui cible particulièrement des femmes et certaines religions plus que d’autres.

Les chrétiens, en effet, s’en tireront mieux. Aucun catholique, aucun protestant ne se sent moralement tenu d’afficher une croix. Même les prêtres ne portent plus le col romain. Il en va tout autrement des religions fondées sur des rites quotidiens, comme le judaïsme orthodoxe ou le fondamentalisme islamique.

Contrairement au chapelet qu’un catholique sort du tiroir quand il le veut, la kippa et le voile font partie intégrante de la pratique religieuse – pas des accessoires, mais des rituels inhérents à la religion de ces minorités, au même titre que les sacrements ou la messe de Pâques pour les catholiques pratiquants. La kippa, on la porte toujours, en signe d’hommage à Dieu. Le voile aussi, sauf en privé.

On peut bien trouver cela ridicule, tout comme est ridicule, aux yeux d’un non-chrétien, l’idée d’une présence divine dans un morceau de pain azyme. Mais ces incongruités, si c’en sont, sont un prix bien léger à payer pour vivre dans une société ouverte et tolérante : on accepte la religion des autres, en échange de quoi l’on peut pratiquer la sienne… ou se proclamer athée.

Cette différence de traitement entre les religions, c’est la première discrimination du projet de loi 21.

La seconde, c’est la discrimination envers les femmes – et cela, comble d’ironie, dans un projet qui prétend instaurer l’égalité des sexes.

Prenons Fatima et Mohamed, tous deux enseignants. Fatima, qui se couvre les cheveux, ne pourra travailler à l’école publique. Mohamed, dont la barbe répond aux préceptes du fondamentalisme, pourra fort bien, lui, décrocher un emploi (à moins que le gouvernement n’émette un règlement pour distinguer une barbe de musulman ultra-pieux d’une barbe de hipster…).

Trois enseignantes se couvrent la tête d’un foulard enroulé en turban : Christiane, qui a perdu ses cheveux pour cause de cancer ; Marie, qui n’a pas eu le temps de se coiffer, et Fatima, une musulmane. Seule cette dernière sera interrogée sur ses raisons de cacher ses cheveux.

Deux enseignants, Aaron et Christian, s’amènent à l’école avec une casquette. Aaron devra rebrousser chemin, car pour un juif, la casquette, ou n’importe quel couvre-chef, est un succédané à la kippa. Christian gardera sa casquette, car il la porte pour des motifs « laïques » – parce qu’il fait froid, pour avoir l’air branché…

Une juive ultra-orthodoxe, quant à elle, devra passer par un examen du cuir chevelu. En effet, si le juif orthodoxe se couvre la tête, la femme mariée, elle, doit porter une perruque… qui devient dès lors un signe religieux.

Exit la tolérance… et le bon goût : un discret pendentif en forme de croix ? Interdit. Par contre, un enseignant pourra impunément se couvrir le torse et les bras de tatouages en forme de croix ou, pourquoi pas, de sigles de l’État islamique ou de croix gammées !

Un mot sur les horizons fascinants que laisse entrevoir ce projet de loi, qui interdit également les signes invisibles. Y aurait-il un scapulaire ou une croix de David sous cette chemise ? Et que dire de la circoncision, qui est le fait de tous les hommes juifs et musulmans, et qui découle dans leur cas d’une obligation religieuse ?

Mais rassurons-nous, le ministre Jolin-Barrette a déclaré (sans rire) que le gouvernement « ne fera pas de fouille à nu » dans les écoles. Félicitations au ministre pour sa belle largeur de vue.

Que penser, enfin, d’un projet de loi qui s’affiche d’entrée de jeu comme contraire à deux chartes des droits et libertés (celle du Québec et celle qui est inscrite dans la Constitution canadienne) ? Et cela, sous le parapluie d’une disposition de dérogation, légale certes, mais illégitime à sa face même, puisqu’on porte ici atteinte à des droits fondamentaux reconnus dans des chartes qui ont préséance sur la législation.

On ne s’étonnera donc pas de constater que les 36 groupes et individus invités à la Commission parlementaire ont été sélectionnés avec une partialité flagrante, dans le but de produire chaque jour une flopée de témoignages favorables.

Incroyable mais vrai, on n’y trouve aucune association réellement représentative des grandes religions, et aucun organisme juif.

« Que dirait-on si le gouvernement faisait une loi sur l’industrie de la construction sans inviter les gens de la construction à témoigner ? », signale fort à propos le porte-parole de la Conférence des évêques.

À quoi ajoute la rabbine Lisa Frushcow : « Mais pourquoi ne pas discuter avec nous des vêtements religieux que nous portons ? Le gouvernement ne veut-il pas entendre les citoyens touchés par cette loi ? »

À la place, on entendra un regroupement de « libres penseurs athées » créé pour appuyer la défunte charte du PQ, quelques collectifs comprenant des musulmans dont la représentativité n’est pas évidente, et une « Association québécoise des Nord-Africains pour la laïcité » favorable au projet de loi 21. À part les incontournables (municipalités, commissions scolaires, syndicats, etc.) et les ténors de la commission Bouchard-Taylor, la liste comprend une majorité de groupes favorables au projet de loi, de même que plusieurs personnalités qui ont milité en faveur de la charte péquiste et qui disposent déjà de tribunes dans les médias.

Inexplicablement, la Fédération des directions d’établissements d’enseignement s’est désistée. Les directeurs d’école n’auraient rien à dire sur ce sujet ?

Quant au Barreau du Québec, il a émis un avis de désapprobation très ferme, mais n’ira pas témoigner. Il y a pourtant une différence entre un communiqué qui passe inaperçu et un dialogue télévisé avec les parlementaires devant le grand public. Cette abstention est irresponsable de la part d’un organisme représentant la primauté du droit.

Ce n’est pas parce que l’on parle de laïcité depuis 10 ans que l’on doit se soumettre sans débat à un projet de loi toxique.

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