Étrange parcours que celui du président Hollande, cet habile manoeuvrier des coulisses politiciennes qui n'a jamais réussi à acquérir une stature présidentielle... et qui passera à l'histoire comme le seul président de la Cinquième République à ne pas briguer un second mandat (ce fut aussi le cas de Georges Pompidou, mais pour une tout autre raison : ce dernier est mort avant la fin de son premier mandat).

M. Hollande, au contraire, a été chassé par sa propre impopularité, qui a atteint des niveaux sans précédent.

Comble de l'humiliation, il a été le seul président sortant à devoir, sous la pression des caciques du Parti socialiste, se soumettre au vote d'une primaire, sur le même pied que n'importe quel quidam.

Tous les signaux lui annonçaient une défaite retentissante. Il aurait été battu dès le premier tour... à supposer qu'il ait réussi à se faire élire à la primaire de gauche. Pourtant, il s'est accroché jusqu'à la fin - jusqu'à ce qu'excédé, son premier ministre et successeur potentiel, Manuel Valls, en vienne à un cheveu de le défier en annonçant sa propre candidature.

Il y a encore à peine deux semaines, seul en son palais, l'ancien apparatchik du Parti socialiste ruminait son dernier espoir, soit une victoire de Nicolas Sarkozy à la primaire de droite. Face à l'ancien président, peut-être aurait-il une chance d'incarner le moindre mal ? Cet espoir s'est évanoui le week-end dernier.

La goutte d'eau qui a scellé son sort, parmi même ses plus proches collaborateurs, a été la publication, en octobre, d'un livre intitulé « Un président ne devrait pas dire ça... ». Le président avait dévoilé ses pensées les plus intimes à deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, au cours d'une soixantaine d'entretiens.

Le résultat fut désastreux : François Hollande médisait sur ses ministres, fustigeait la « lâcheté » des juges, déplorait le trop grand nombre d'immigrants, prédisait que « la femme voilée aujourd'hui [serait] la Marianne de demain », se plaignait de l'austérité de sa vie de président, insultait les idoles des amateurs de foot (« les Bleus, des gars des cités sans valeurs, des gosses mal éduqués... »), multipliait les indiscrétions sur les femmes de sa vie, sur la « jalousie maladive » de Valérie Trierweiler, sur le fait que Julie Gayet, sa maîtresse actuelle, voudrait se marier, mais qu'il s'y refuse...

Qu'est-ce qui, dans un pays où le moindre ministre tient à relire (et corriger) l'entrevue qu'il vient d'accorder avant sa publication, avait bien pu pousser le président de la République à s'abandonner aussi totalement à deux journalistes d'enquête qui ne s'étaient jamais distingués par leurs connaissances de la politique ni par leur subtilité ? Comment expliquer un pareil manque de jugement, incompréhensible chez un homme habituellement calculateur ?

Ce manque de réserve et de dignité s'apparentait, faut-il dire, à la façon dont il avait amorcé son règne, lui qui prétendait vivre en homme « normal » alors que sa fonction n'avait rien de « normal ».

Il tenait à habiter son appartement du 15e arrondissement et à faire ses courses au Carrefour en rentrant du bureau... Un cauchemar pour ses services de sécurité comme d'ailleurs pour ses voisins.

La suite des choses n'a pas rehaussé sa stature. Qui peut oublier cette photo d'un président de la République sur sa moto, se rendant en pleine nuit « incognito » chez sa maîtresse ? Cet épisode loufoque en faisait un objet de ridicule et ravalait encore une fois sa fonction.

Si encore ce président bonhomme et terre-à-terre avait redressé les finances publiques et jugulé le chômage, il laisserait un héritage. Finalement, il aura passé les deux dernières années de son mandat à présider des cérémonies de commémoration.

L'actualité l'a bien servi : les anniversaires issus des deux guerres mondiales se sont succédé, de même, hélas, que les occasions de rendre hommage aux victimes du terrorisme, des tâches dont il s'acquittait consciencieusement même si, avec son manque d'éloquence et son débit hachuré, il n'avait rien d'un orateur.

Il laisse un parti violemment désuni et une gauche en désarroi. Une pléthore de candidats se disputeront la primaire de janvier, dont sans doute Manuel Valls, qui partira avec le handicap de représenter l'impopulaire gouvernement qu'il a dirigé pendant les deux dernières années de concert avec François Hollande, à l'heure où les Français veulent du changement.