Jean-François Lisée n'a pas tardé à dévoiler sa stratégie électorale, et il l'a fait avec brio dans son discours de la victoire. (Incidemment, quel plaisir d'entendre un politicien québécois parler si bien notre langue ! Je reviendrai bientôt sur cet heureux événement.)

C'est plus clair que jamais : le nouveau chef du Parti québécois vise la Coalition avenir Québec. C'est ce parti qu'il doit faire sortir de l'équation, ce sont ses électeurs qu'il doit aller chercher, sous peine de continuer à végéter dans l'opposition.

C'est un objectif si évident, si réaliste, qu'on s'étonne que M. Lisée soit le premier à le définir noir sur blanc, contrairement à ses prédécesseurs qui préféraient entretenir le rêve futile d'une « convergence » avec un groupuscule (Option nationale, 0,7 % aux élections de 2014) et avec Québec solidaire, une formation qui a eu 7,6 % du vote dans sa meilleure année... et qui sera bientôt privée de ses meilleurs atouts, Françoise David songeant à prendre sa retraite et Amir Khadir voulant retourner à la médecine.

Il ne restera plus sur le pont que Manon Massé... Jean-Martin Aussant, qui est en réserve de la république et cherche sur quel trône poser son auguste personne, ne trouvera pas à se loger à QS, dont le tiers des membres est contre la souveraineté et les autres, prêts à l'envisager à la seule condition qu'elle s'accompagne d'une révolution écolo-marxisante.

M. Aussant pourra toutefois retourner faire son nid à ON, qui, d'après son chef actuel, recevrait plusieurs partisans déçus de Martine Ouellet (il parle de « centaines » de transfuges, mais on demande à voir...).

Le PQ et la CAQ ont beaucoup en commun. Les deux partis sont nationalistes, et si la CAQ ne veut pas de référendum, elle n'est pas anti-souverainiste pour autant et compte sans doute assez peu de fédéralistes de conviction.

Entre la CAQ de centre-droit et le PQ de centre-gauche, il n'y a pas de divergence fondamentale sur le plan économique.

Les deux partis se partagent le vote francophone - le PQ domine l'est de Montréal et les régions excentriques, et la CAQ l'immense région banlieusarde du 450. Tant que cette situation perdurera, aucun des deux ne pourra prendre le pouvoir.

En s'engageant à ne pas convoquer de référendum dans un premier mandat et en dépassant la CAQ sur son propre terrain du nationalisme identitaire, M. Lisée avait déjà commencé à cibler l'électorat caquiste et à dynamiter la digue qui « protégeait » la CAQ contre les avancées du PQ.

Lors de son discours de vendredi, M. Lisée a donné le signal de l'assaut. Il n'a pas ménagé ses coups contre la CAQ, ce parti « né vieux », qui « change de priorité tous les six mois, un parti brouillon, impulsif comme son chef... » La CAQ, déjà fragilisée par les rafles du Parti libéral, qui attire ses vedettes et ses employés, risque de voir son électorat grugé. Le PLQ aussi, si jamais les « fédéralistes mous », rassurés par la promesse qu'il n'y aura pas de référendum à courte échéance, répondaient à l'invitation pressante du nouveau chef du PQ.

François Legault, qui s'exprime dans un français approximatif, aura bien du mal à répliquer aux attaques verbales de M. Lisée. Le premier ministre Couillard aussi, dans son cas parce qu'il n'a jamais les bons réflexes politiques et qu'il est facilement déstabilisé.

La victoire de Jean-François Lisée est en fait une catastrophe pour les deux autres grands partis, qui auraient pu continuer leur petit bonhomme de chemin en sifflotant avec un Alexandre Cloutier à la tête de l'opposition officielle. Ce dernier, malgré toutes ses qualités, n'aurait pas fait un adversaire bien dangereux, et l'on ne pouvait pas exclure que sous sa gouverne, le PQ se soit retrouvé en troisième position aux prochaines élections.

Les péquistes qui ont donné la victoire à Jean-François Lisée ne l'ont peut-être pas fait de gaieté de coeur, car l'homme, égocentrique et arrogant, n'était pas aimé. Mais ils ont compris que le PQ, à ce stade précaire de son existence, avait besoin d'un tueur (métaphoriquement parlant), d'un chef vigoureux et rusé capable de faire flèche de tout bois.

Le nouveau chef a lancé d'autres signaux dans son discours de vendredi. Sans parler de convergence ou de coalition, il a amicalement salué Québec solidaire, en lui proposant d'oeuvrer de concert à certains objectifs limités, comme la hausse du salaire minimum ou la réforme du mode de scrutin. Il a adressé, dans un très bon anglais, un long message d'ouverture aux anglophones insatisfaits du gouvernement Couillard, qui pourraient être eux aussi rassurés par la levée de l'hypothèque référendaire.

Détail qui n'en est pas un : il n'a pas mentionné Option nationale.