Décrié par certains parce qu'il ne va pas assez loin, le projet de loi fédéral sur l'euthanasie active est pourtant beaucoup plus radical que la loi québécoise.

Ce projet de loi place le Canada dans le minuscule peloton de pays qui autorisent les médecins à administrer la piqûre létale à la demande du patient, soit les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la Colombie, auxquels s'ajoutent la Suisse et cinq États américains qui autorisent le suicide assisté.

Autrement dit, loin d'avoir trop tardé à légiférer, le Canada est à l'avant-garde du reste du monde.

Même s'il s'agit d'une évolution nécessaire, il aurait été plus intelligent qu'au lieu de passer une loi aussi lourde de sens et de conséquences en trois coups de cuiller à pot, le gouvernement Trudeau prenne la peine de s'enquérir des raisons pour lesquelles des sociétés aussi développées que la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou les pays scandinaves ont jusqu'à présent refusé de s'engager dans cette voie.

Ces pays autorisent l'arrêt de l'« acharnement thérapeutique », l'euthanasie passive (sédation palliative, administration de substances destinées à soulager mais susceptibles d'entraîner la mort). Mais aucun n'a légalisé l'euthanasie active, ou l'injection de produits uniquement destinés à donner la mort.

On peut regretter la précipitation avec laquelle on a agi dans une matière aussi grave. Les échéances dictées par la Cour suprême étaient trop serrées, étant donné qu'on était à la veille d'élections et qu'un nouveau gouvernement allait arriver au pouvoir. Les pistes dégagées par divers comités formés en catastrophe, dont la récente commission parlementaire multipartite, n'ont pas constitué une recherche digne de ce nom.

Au moins, le Québec avait eu la prudence d'étudier la question pendant quelques années, sur une base non partisane, et de poser des balises.

On exige en effet que le malade soit en fin de vie, alors que le projet fédéral stipule que « la mort naturelle » doit être « raisonnablement prévisible », une expression ambigüe qui peut ouvrir la porte à l'euthanasie de personnes qui ont encore plusieurs années à vivre.

La loi québécoise exclut explicitement la maladie mentale, en précisant que le patient doit éprouver des souffrances « physiques et psychologiques », alors que le projet fédéral parle de souffrances « physiques ou psychologiques ». Même si la ministre de la Justice a affirmé que la question de la maladie mentale sera examinée plus tard, ce « ou » indique que les troubles mentaux pourront être une condition suffisante, à supposer que les mots aient un sens.

Contrairement à la loi québécoise, qui ne le mentionne pas, le projet fédéral, en conformité avec l'arrêt Carter de la Cour suprême, inclut les « handicaps (graves) » parmi les conditions requises pour recevoir l'injection létale.

Contrairement à la loi québécoise, qui stipule que l'euthanasie doit être pratiquée par un médecin, le projet fédéral autorise aussi les infirmières cliniciennes à le faire... et permet à ces professionnels de remettre au patient les substances toxiques qui lui permettront de se suicider lui-même à la maison ou en compagnie de ses proches, sans supervision médicale.

Cette dernière disposition, empruntée à l'Oregon, a fait bondir le Collège des médecins. « C'est une histoire d'horreur que nous ne pourrons tolérer au Québec », de dire son secrétaire, le Dr Yves Robert. On pense en effet aux malades qui rateraient leur tentative de suicide dans des souffrances inouïes, au fait que ce système mettrait en circulation libre toutes sortes de produits toxiques.

On comprend mal qu'un gouvernement responsable prône une pareille mesure... à moins que ce ne soit pour libérer les médecins de la corvée de devoir eux-mêmes donner la mort, en leur permettant de refiler une simple ordonnance au patient.

Rien à voir en tout cas avec les soins de « fin de vie » prévus par la loi québécoise... D'ailleurs, le projet de loi fédéral ne mentionne aucunement les soins palliatifs, alors que la loi québécoise fait des soins palliatifs un droit égal à celui de réclamer l'euthanasie.

Le projet C-14 n'est qu'un début. D'autres mesures seront à l'étude. Nous y reviendrons.