Lorsque, sans consulter personne, la chancelière Angela Merkel a invité chez elle toute la misère du monde, elle a connu une heure de gloire.

On la voyait destinée au Nobel de la paix. On voyait dans cette générosité un signe supplémentaire de la manière louable avec laquelle l'Allemagne continue d'expier son passé, car en réalité, le pays n'avait pas vraiment d'intérêt économique en jeu.

Même si l'Allemagne doit rajeunir sa population et faire tourner ses usines, ce ne sont pas les barbiers et les pharmaciens syriens qui peuvent lui prêter main-forte, encore moins les jeunes que la guerre a jetés en dehors des écoles pendant quatre ans.

Bref, on s'apprêtait à canoniser Mère Angela, pour cette initiative qui, manifestement, ne découlait que de l'altruisme et du besoin de réparer les fautes monstrueuses du nazisme. Ce qui, du reste, était vrai : en bonne protestante, Mme Merkel porte le poids de la culpabilité historique qui accable bien davantage les fils de Luther, seuls devant Dieu et leur conscience, que les catholiques qui, eux, jouissent de l'échappatoire merveilleuse de la confession.

C'était en septembre 2015. Depuis, plus d'un million de migrants sont arrivés en Allemagne et l'afflux aurait continué au même rythme si l'Autriche et les Balkans n'avaient pas fermé leurs frontières.

Tout le monde a déchanté. Alors que l'Allemagne avait été relativement épargnée par ce fléau, l'extrême droite vient de connaître une ascension surprenante dans trois élections régionales. Même les Allemands ouverts à l'immigration sont sceptiques. Et il y a eu Cologne.

On a, en somme, redécouvert cette vieille maxime selon laquelle « le mieux est l'ennemi du bien ».

On s'est rappelé qu'à au moins une autre occasion, la chancelière avait fait preuve de la même impulsivité sans égard aux conséquences. Tout de suite après l'explosion de Fukushima, elle avait décrété la fin du nucléaire... ce qui rend le pays dépendant du charbon, la plus polluante des sources d'énergie.

L'Europe est déstabilisée, peut-être irrémédiablement. Et sans projet commun. Le plan que Mme Merkel avait concocté d'autorité, visant à répartir les réfugiés en fonction des moyens de chaque pays, a fait chou blanc.

La Grèce est un goulot d'étranglement sous le poids des migrants qui s'y entassent dans d'effroyables conditions.

Mme Merkel n'avait pas consulté ses partenaires européens avant son appel d'air. Elle ne les a pas davantage consultés quand elle a tenté d'improviser une solution pour sortir de l'impasse.

Elle a négocié en tête-à-tête avec le président Erdogan de Turquie une solution bâclée et dangereuse à laquelle le reste de l'Europe a dû se rallier de mauvais gré.

L'entente prévoit que la Turquie « libèrera » la Grèce, et que pour chaque migrant renvoyé en Turquie, l'Europe recevra une personne choisie dans les camps de réfugiés de Turquie.

Pour ce troc insensé qui alarme les spécialistes du droit d'asile, et en échange de ces déplacements massifs de population qui représenteront un cauchemar logistique, la Turquie recevra des milliards d'euros, en même temps que l'assurance que ses ressortissants pourront séjourner en Europe sans visas de court séjour - une perspective qui réjouira les Européens traumatisés par les attentats de Paris et de Bruxelles.

Comble d'imprévoyance, Mme Merkel s'est en outre engagée à reprendre les négociations visant l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, un projet plus aberrant que jamais, et pas seulement parce que la Turquie d'Erdogan est retombée dans l'ornière antidémocratique. À l'heure du terrorisme islamiste, qui donc voudra voir les frontières de l'Europe repoussées jusqu'à l'Irak, l'Iran et la Syrie ?

Ce nouveau rejet sera perçu comme une humiliation par la Turquie, qui pourrait se retourner violemment contre l'Europe.

Angela Merkel sera-t-elle la fossoyeuse d'une Union européenne qu'elle n'avait cessé de défendre ? Ce serait bien involontaire de sa part... mais l'enfer n'est-il pas pavé de bonnes intentions ?