Le Sénat existe. Impossible de s'en débarrasser, comme se le promettait bêtement le NPD, qui ne semblait pas réaliser que cela ne peut se faire sans rouvrir la boîte de Pandore qu'est la Constitution.

Puisque le Sénat existe, pourquoi ne pas en faire une institution utile, comme ce fut d'ailleurs souvent le cas avant les scandales qui ont terni sa réputation ?

Telle est l'optique raisonnable du gouvernement Trudeau, qui est en train de faire du neuf avec du vieux, et de redonner au Sénat une seconde vie en le renvoyant à sa vocation d'origine - celle d'une institution vouée à la réflexion et à l'analyse « rigoureuse et distancée » (a sober second thought) des projets de loi... avec cette différence qu'elle serait enfin dépourvue de la dimension partisane qui a si longtemps érodé sa crédibilité.

M. Trudeau avait commencé à agir dans l'opposition, en expulsant les sénateurs libéraux du caucus du parti, quitte à mécontenter ceux qui revendiquaient haut et fort leurs liens avec le glorieux Parti libéral du Canada.

Ce geste était le premier jalon visant à faire du Sénat une institution non partisane, à l'écart des lignes de partis. Le reste vient d'être fait : le gouvernement a institué un « comité de sages » chargé de dresser une liste de personnalités parmi lesquelles le premier ministre a fait son choix. Ce processus de consultation vient d'aboutir à la nomination de sept sénateurs, dont, pour le Québec, notre ancien collègue André Pratte, et l'athlète paralympique Chantal Petitclerc.

Dans deux registres bien différents, ces nouveaux sénateurs incarnent un formidable renouveau. Mme Petitclerc est connue pour son extraordinaire détermination et sa vive intelligence nourrie par des expériences accumulées à travers le monde.

Pour l'avoir côtoyé quotidiennement durant ces 14 années où il a dirigé les pages Débats de La Presse, je sais ce qu'André Pratte apportera au Sénat : une culture politique remarquable, une capacité de travail et d'étude pratiquement sans limites, une intégrité et une rigueur intellectuelle exceptionnelles.

Le critère du mérite a également présidé à la nomination des autres sénateurs : Raymonde Gagné, ancienne rectrice de l'Université de Saint-Boniface, Frances Lankin, ancienne ministre sous le gouvernement NPD ontarien ; Peter Harder, un ancien mandarin fédéral ; Ratna Omidvar, une spécialiste de « l'immigration et la diversité » de l'Université Ryerson, et Murray Sinclair, juge retraité qui a présidé la Commission sur les pensionnats autochtones.

On reconnaît, comme auparavant, l'empreinte personnelle du premier ministre. Mme Omidvar et M. Sinclair militeront pour les causes chères à Justin Trudeau, tout comme le sénateur conservateur Pierre-Hugues Boisvenu, l'apôtre des victimes de crimes, avait été nommé par l'ancien premier ministre Harper pour faire avancer l'arsenal des lois répressives contre les détenus.

Il est normal qu'une partie (minime) du Sénat reflète les priorités du gouvernement de l'heure. Ce qui l'était moins, c'est que M. Harper en avait travesti la mission en y nommant, à l'instar de ses prédécesseurs libéraux, trop de partisans dénués de mérites particuliers, sans compter la nomination d'un ancien coach de hockey qui s'était défini en 2005 comme analphabète fonctionnel. Lors de sa nomination, quatre ans plus tard, Jacques Demers disait pouvoir lire un texte... en se concentrant beaucoup, et si ce n'était pas « trop compliqué », alors que le travail premier d'un sénateur est de scruter des textes législatifs complexes !

M. Harper, fidèle à sa mentalité populiste, aurait voulu que le Sénat soit élu comme aux États-Unis, au risque de devenir une arène partisane qui ferait double emploi avec le Parlement.

Cette transformation, qui elle aussi aurait nécessité un amendement constitutionnel, est heureusement tombée dans l'oubli.

Reste la vieille revendication des provinces, qui réclament la main haute sur la nomination des sénateurs. On voit mal en quoi cela améliorerait la représentativité du Sénat. Les Pratte et les Petitclerc n'ont pas besoin de la bénédiction de l'Assemblée nationale pour garder leur identité québécoise, et l'intrusion des parlements provinciaux dans le processus ne servirait qu'à multiplier les risques de partisanerie et à affaiblir une institution qui doit être libre et indépendante pour bien remplir sa mission.