L'accueil des réfugiés syriens est-il un « projet national », comme le soutient le gouvernement Trudeau, ou un show politique au bénéfice du parti au pouvoir ?

C'est un peu des deux. L'opération commence à prendre les dimensions d'un projet national, beaucoup de Canadiens prenant à coeur la cause des victimes de l'atroce guerre de Syrie. Mais cette opération, nécessaire et méritoire, risque de mal tourner si le gouvernement l'instrumentalise comme un autre coup de pub.

Au Canada, ce qu'on a vu jeudi, ce sont les images flatteuses du premier ministre accueillant un premier groupe de réfugiés à l'aéroport de Toronto avec des manteaux d'hiver et des peluches, comme un père Noël des temps modernes.

Mais dans le Globe and Mail d'hier, Mark MacKinnon nous offre un autre point de vue, plus troublant.

La précipitation du gouvernement canadien, qui veut coûte que coûte faire venir le plus grand nombre de réfugiés possible d'ici la fin de l'année et effacer le mauvais effet produit par le retrait des avions de chasse canadiens de la coalition, cause de sérieux problèmes au personnel chargé de sélectionner les réfugiés et de leur procurer les documents nécessaires.

Trop souvent, précise MacKinnon, le programme de réinstallation est « empoisonné par des considérations d'image plutôt que de substance ».

Exemple : le gouvernement Trudeau voulait absolument que le premier vol nolisé, qui devait partir d'Amman, arrive à Toronto le 10 décembre, jour où l'on célèbre la Journée internationale des droits de l'homme. Mais rien n'était prêt, même si les humanitaires internationaux et les fonctionnaires canadiens envoyés sur place, signale MacKinnon, se défoncent au travail à coups d'heures supplémentaires non rémunérées.

Le 8 décembre, les organismes internationaux impliqués dans l'opération jugeaient impossible de respecter les échéances du Canada (présentement fixées aux 10 et 31 décembre et au 29 février.)

Le processus de sélection n'est pas assez avancé, il manque encore beaucoup de visas de sortie, et certains réfugiés déjà choisis réclament un délai pour mettre leurs affaires en ordre avant le départ.

Ces réfugiés, incidemment, ne sont pas du bétail attendant béatement d'être transportés dans des champs plus fertiles. Les Syriens, avant le désastre, étaient un peuple instruit et relativement prospère. Nombreux sont ceux qui ont des biens sur place, de la famille, des démarches à effectuer, ou qui veulent un peu d'information sur le pays qu'on leur a choisi...

Malgré leurs conditions de vie misérables, ils n'étaient pas tous prêts à partir au premier coup de claquette d'Ottawa. C'est d'ailleurs pourquoi la majorité des Syriens qui arrivent ce mois-ci sont parrainés par leurs familles ou des groupes communautaires - ceux-là ont déjà une idée de ce qui les attend au Canada, contrairement aux réfugiés directement parrainés par le gouvernement.

Les avions nolisés censés transporter mercredi dernier quelque 160 réfugiés en provenance de Jordanie n'étaient pas en mesure de décoller aussi vite. On a donc fait venir un avion militaire du Canada... qu'on n'a pas pu remplir, car il n'y avait pas assez de réfugiés prêts à partir d'Amman. On a fini par aller chercher d'autres réfugiés à Beyrouth, dans la plus grande confusion.

Selon d'autres reportages, plusieurs réfugiés qui devaient embarquer pour le Canada à Beyrouth ont été laissés sur le tarmac, pour ainsi dire, faute des documents nécessaires. Mohammed Habash n'avait pas le document canadien tenant lieu de passeport et sa famille a refusé de partir sans lui. La famille Dalaa n'a pu embarquer, apparemment parce qu'elle n'avait pas reçu les visas de sortie nécessaires.

Voilà comment la précipitation et l'improvisation peuvent gâcher les meilleurs sentiments.