On trouve, dans le rapport Charbonneau, le même préjugé qui caractérisait le rapport Gomery sur le scandale des commandites, soit une méfiance quasi caractérielle envers la classe politique.

Je ne parle pas ici du fait (fort troublant au demeurant) qu'aucun des politiciens mentionnés dans les témoignages n'ait fait l'objet d'un blâme, à tout le moins d'une interrogation. Je reviendrai samedi sur cet aspect.

Je parle ici d'une mentalité, de la vision de la politique qui transpire de ces deux rapports. Ce qu'on y lit en filigrane, c'est que les politiciens élus sont, en bloc, des fraudeurs potentiels, et qu'il faut soit les tenir à l'écart des décisions, soit les encadrer à tel point qu'ils deviendront d'insignifiants porte-drapeaux tout juste bons à couper les rubans dans les cérémonies officielles.

Ainsi, l'une des recommandations du rapport Charbonneau consisterait à enlever aux politiciens leur pouvoir décisionnel en matière d'infrastructures (ponts, routes, réseaux souterrains, etc.) pour le confier à des comités « indépendants et objectifs » composés de non-élus.

Qu'est-ce qui fait croire à la Commission que ces derniers seraient, à priori, plus objectifs, plus intègres et plus préoccupés de l'intérêt public que les politiciens ? Que les non-élus seraient miraculeusement à l'abri des pressions et des tentatives de subversion ? Les pires cas de corruption dévoilés par la Commission ont été le fait d'ingénieurs non élus !

Pourquoi les élus qui connaissent par coeur leurs circonscriptions ou leurs districts seraient-ils moins qualifiés que des non-élus pour décider de l'octroi des contrats ?

Serait-on à l'abri de la collusion ou de la fraude simplement parce qu'on n'a jamais sollicité un poste électif ? N'y a-t-il pas des politiciens altruistes et désintéressés ? Cela semble bien être le cas de la majorité, compte tenu du nombre infime de scandales impliquant des politiciens fédéraux et provinciaux. Même la Commission, malgré tous ses efforts, n'a pas été capable d'en trouver un !

Dans une autre manifestation de méfiance irraisonnée envers la classe politique, la juge Charbonneau, reprenant à son compte la remarque d'un témoin, affirme que « les machines politiques sont devenues des monstres ».

Des monstres, vraiment ? La contribution maximale à un parti politique est aujourd'hui de 100 $ et les dépenses électorales, rigoureusement contrôlées. Même avec les règles antérieures, nos partis n'avaient rien de monstrueux. C'est aux États-Unis qu'il faut aller pour voir des entreprises et des groupes de pression financer des candidats à coup de millions.

Faut-il vraiment, pour éviter les risques de corruption, être gouverné par des robots ? Ainsi, la Commission recommande que les comités de sélection ignorent totalement l'identité des entrepreneurs qui sollicitent des contrats publics. Mais pourquoi les décideurs ne pourraient-ils avoir des informations sur les entreprises, leurs chantiers précédents, leur réputation ?

Il n'y a pas que la morale dans cette affaire ! Il faut donner les contrats aux firmes les plus compétentes. Y a-t-il une coopérative d'habitation privée qui confierait la réfection de son toit à un entrepreneur anonyme dont on ne connaîtrait que le devis comptable ?

Le juge Gomery était tombé dans le même travers, quoiqu'à un degré bien supérieur. Le second tome de son rapport était d'un tel angélisme et trahissait une telle méconnaissance des réalités politiques et des rouages de l'État que personne n'a protesté quand il a été « tabletté ».

Le juge Gomery s'était mis en tête d'émasculer le pouvoir des élus (celui du premier ministre au premier chef) au profit des fonctionnaires. Le greffier du Conseil privé devait être le porte-parole de la fonction publique plutôt que le conseiller du premier ministre, et les sous-ministres, choisis par concours... À le lire, on se demandait pourquoi diable on élirait des gouvernements !