On entend dire ici et là qu'en prenant ses distances de la coalition militaire contre le groupe armé État islamique (EI), le premier ministre Trudeau suivrait l'exemple de Jean Chrétien quand ce dernier a décidé, en 2003, de ne pas participer à l'invasion de l'Irak initiée par George W. Bush.

La comparaison ne tient pas, car les deux initiatives militaires n'ont rien en commun. La guerre contre l'Irak était déraisonnable et est en partie à l'origine du chaos meurtrier qui dévaste la région.

Par contre, la coalition menée par les États-Unis, dont le Canada fait toujours partie, est une tentative certes imparfaite, mais légitime, de venir à bout d'un groupe qui veut soumettre des millions de musulmans à sa loi brutale et archaïque, et répandre la terreur en Occident.

Les guerres récentes menées par des puissances occidentales en terre musulmane ont toutes leur propre histoire.

L'invasion de l'Afghanistan était une réponse logique aux attentats du 11-Septembre, car c'est là qu'Al-Qaïda avait installé ses camps d'entraînement. Cette guerre a atteint son objectif premier, soit la dislocation des bases terroristes, mais l'opération s'est enlisée quand les Occidentaux se sont mis dans la tête de réformer l'Afghanistan, une société médiévale, sur le modèle d'un pays démocratique. Cette entreprise idéaliste a échoué.

Les frappes aériennes occidentales qui ont détruit la Libye en 2011 étaient inspirées de la même logique tordue que l'invasion de l'Irak en 2003.

Dans les deux cas, on a prétendu « libérer » un peuple de la dictature sous des prétextes fallacieux, alors que Saddam Hussein et Mouammar Kadhafi, tout sanguinaires fussent-ils, ne représentaient aucune menace en dehors de leurs frontières. (C'étaient aussi, tout comme Bachar al-Assad, des leaders laïcs sans lien avec le fondamentalisme islamiste).

Saddam avait envahi le Koweït et persécuté sa minorité kurde, mais il n'avait aucun désir d'étendre sa domination sur le Proche-Orient. Le colonel Kadhafi, pour sa part, avait cessé d'encourager le terrorisme international depuis 10 ans. Il avait signé le traité de non-prolifération des armes nucléaires et collaborait avec l'Europe pour prévenir le trafic illégal des migrants et des armes.

Ce ne sont pas les États-Unis qui ont fait l'erreur d'intervenir en Libye. C'est l'ex-président Nicolas Sarkozy, à l'instigation du philosophe Bernard-Henri Lévy (un illuminé à ses heures), qui a lancé l'attaque aérienne contre la Libye, à laquelle le président Obama s'est rallié sans enthousiasme.

Comme en Irak, où Bush avait agité le spectre d'« armes de destruction massive » inexistantes, le tandem Sarkozy-Lévy agissait au nom d'une fiction délirante. Ils voulaient sauver des griffes de Kadhafi un groupe de rebelles basé à Benghazi (un bastion fondamentaliste) qui leur avait fait croire que le triomphe des putschistes transformerait la Libye en une vallée de roses. On sait ce qui en a résulté : la zone est aux mains de diverses factions terroristes et des passeurs criminels qui sont à l'origine des milliers de naufrages en Méditerranée.

La montée de l'EI s'est produite à la suite de l'invasion injustifiée de l'Irak par les Américains. Après avoir fait imploser un pays naguère animé par des élites prospères et éduquées, ces derniers ont ensuite commis l'erreur de laisser un gouvernement issu de la majorité chiite écarter de tous les postes de pouvoir les sunnites sur lesquels s'appuyait le régime de Saddam, comme si le modèle électoral occidental pouvait convenir à une société divisée par de profonds antagonismes religieux. L'EI s'est ensuite nourrie de la colère des sunnites...

Faut-il ressasser le passé ? Oui, car il y a des leçons à en tirer, et aussi parce qu'il faut éviter la confusion entre la décision salutaire de Jean Chrétien en 2003 et la politique intempestive et irraisonnée du gouvernement Trudeau.