Dans toutes les activités du Parti libéral fédéral, il y a toujours eu autant de turbans sikhs que de fleurdelisés dans les activités du Parti Québécois.

Cette minorité vient de récolter le fruit de cet engagement de longue date : le parlement compte 17 députés sikhs (tous libéraux sauf un), dont quatre au Conseil des ministres.

Deux ministères capitaux, la Défense nationale et le Développement économique, sont allés à des sikhs religieux enturbannés. Le troisième ministre sikh, responsable de l'Infrastructure et des collectivités, est un laïc qui n'arbore aucun signe religieux, et Bardish Chagger, une femme, est ministre de la Petite entreprise et du tourisme.

Comment cette minorité (1,4 % de la population canadienne) a-t-elle réussi à se tailler une aussi grande place au parlement ? Tout simplement grâce à un phénomène courant dans les minorités « tricotées serrées » : le « block-voting », par lequel on vote en bloc pour l'un des siens. Comme les sikhs forment de fortes minorités dans quelques circonscriptions d'Ontario et de Colombie-Britannique, leurs candidats profitaient au départ d'un avantage. Leurs qualités personnelles et l'image de marque du parti ont fait le reste.

Au Québec, on ne les connaît qu'à travers deux événements : l'épreuve de force, en 2011, entre l'Assemblée nationale et des visiteurs sikhs qui voulaient entrer au parlement avec leurs sabres cérémoniaux, et la saga judiciaire dont le héros était un garçon pré-pubère que son père a instrumentalisé dans le but de faire reconnaître le « droit » d'entrer dans les écoles avec un kirpan (un objet qui reste un couteau même s'il est cousu dans les sous-vêtements). Dans l'une de ces décisions aberrantes dont elle a le secret, la Cour suprême a donné raison au père.

L'activisme politique des fondamentalistes sikhs leur a valu plusieurs victoires au Canada : reconnaissance du port du turban dans la GRC (1990), reconnaissance du port du kirpan dans les écoles (2006) et, plus récemment, autorisation du kirpan dans les ambassades canadiennes à l'étranger, qui sont devenues les seules institutions où l'on peut franchir le détecteur de métal avec une arme.

En Colombie-Britannique, où vivent la majorité des sikhs canadiens, leur surreprésentation au Conseil des ministres risque de créer du ressentiment au sein de la communauté indienne, qui reste traumatisée par l'écrasement du vol 182 d'Air India en 1985, l'oeuvre d'un extrémiste sikh partisan de la séparation du Pendjad.

Cet attentat a été fomenté en représailles à l'invasion violente, en 1984, du temple sacré d'Amritsar par l'armée indienne, qui soupçonnait que le temple sikh abritait des extrémistes séparatistes. La même année, la première ministre Indira Ghandi fut assassinée par deux de ses garde-du-corps sikhs.

À Vancouver, les événements sanglants se déroulant dans la mère patrie ont engendré de fortes tensions entre sikhs et hindous, de même qu'entre sikhs modérés et extrémistes, de même qu'entre sikhs fondamentalistes et laïcs.

Le sikhisme, sorte de croisement entre l'hindouïsme et l'Islam, est une religion monothéiste pratiquée par quelque 20 millions d'Indiens concentrés dans l'État du Penjab. Cette minorité entreprenante et prospère a la réputation de compter de féroces guerriers dont la bravoure est légendaire. On dit que le nouveau ministre de la Défense Harjit Singh Sajjan, ancien militaire au sein des Forces canadiennes, serait de cette trempe.

A-t-il été choisi malgré son turban, parce qu'il était le plus qualifié pour la fonction ? Ou a-t-il été choisi en partie à cause de son turban, pour illustrer l'orientation multi-culturaliste privilégiée par le premier ministre Trudeau ? L'avenir le dira.

CORRECTION

Contrairement à ce que j'écrivais mardi, il y a un ministre juif au Conseil des ministres : Jim Carr de Winnipeg. Je n'avais pas reconnu, dans le « James Gordon Carr » des documents officiels, le Jim que j'ai souvent côtoyé lorsqu'il était journaliste au Winnipeg Free Press.