Cette campagne électorale a ceci de particulier que les quatre principaux chefs sont seuls à l'avant-plan. Aucune équipe ne les entoure dans les publicités partisanes.

Stephen Harper, même s'il le voulait, aurait du mal à miser sur ses ministres, car à force de tout contrôler, il a fait le vide autour de lui. Son conseil des ministres comprend peu de personnalités d'envergure... et pour cause.

Il n'en a pas toujours été ainsi : Pierre Elliott Trudeau, Brian Mulroney et Jean Chrétien s'appuyaient sur des ministres forts. Tous les leaders ont par définition la fibre autoritaire, cela va de soi (sinon ils ne se seraient pas rendus au sommet), mais les meilleurs leaders savent aussi s'entourer de gens capables de leur tenir tête.

Thomas Mulcair est lui aussi seul à l'avant-plan. Au Québec, là où se trouve pourtant le bastion du parti, un seul député émerge de l'ombre, l'ancien syndicaliste Alexandre Boulerice. Soit parce que son aile québécoise est composée de néophytes, soit parce qu'il ne leur fait pas confiance, M. Mulcair a bien veillé à écarter ses députés des projecteurs.

Idem pour Gilles Duceppe, que ses députés appelaient « le père Fouettard » à l'époque où le Bloc en menait large à Ottawa. À la tête d'un caucus faible d'où ne ressortaient que de rares députés, la forte personnalité de M. Duceppe éclipsait complètement son équipe.

Justin Trudeau est le seul des quatre leaders qui ne dégage aucune image autoritaire. En fait, son problème serait plutôt l'inverse, plusieurs craignant qu'il n'ait pas la force de caractère et la maturité politique nécessaires pour affronter les défis du pouvoir. D'où cette préoccupation répandue chez beaucoup d'électeurs tentés par le PLC : s'il se retrouvait dans le fauteuil de premier ministre, M. Trudeau serait-il bien entouré ? Auprès de qui prendrait-il conseil ?

Ce ne sont pas des questions que l'on se pose au sujet des trois autres chefs. 

Même s'ils s'entourent à l'occasion d'experts, nul ne doute que MM. Harper, Mulcair et Duceppe expriment leurs propres idées et qu'ils sont les grands maîtres de leur stratégie électorale.

Dans le cas de Justin Trudeau, il y a un cerveau derrière le chef en campagne : Gerald « Gerry » Butts, qui est à la fois son principal conseiller et son ami intime de longue date (une combinaison de rôles que les spécialistes de la gestion ne recommandent pas).

Né d'un père mineur du Cap-Breton, diplômé en littérature anglaise de McGill, il a été le bras droit de l'ancien premier ministre ontarien David McGuinty avant de devenir le gourou politique de son grand ami.

Si l'on se fie à un long portrait qu'en a dressé Martin Patriquin dans le Maclean's du 25 septembre, c'est lui qui règne sans conteste sur la garde rapprochée de M. Trudeau, qui contrôle l'accès au leader, qui a défini les grandes lignes de la campagne (l'accent sur « la classe moyenne », l'appui au projet de loi antiterroriste C-51, le recours aux déficits) et c'est lui que l'on voyait aux côtés de Justin Trudeau les soirs de débat télévisé, tel un « coach » prodiguant ses derniers conseils à son boxeur étoile.

Ceux qui le connaissent le décrivent comme un homme exceptionnellement brillant, autoritaire et imperméable à la critique. M. Butts est un hybride rare en politique, car il est à la fois « policymaker » et « political operative », maître à la fois du contenu et de la stratégie. Et contrairement à la réserve que s'imposent habituellement les stratèges politiques, il ne se prive pas d'exprimer des opinions à l'emporte-pièce sur Twitter, dans un style corrosif et vulgaire qui est l'exact opposé du style Trudeau.