C'est à peine croyable. Il n'y a pas trois mois, le PLC semblait promis à la déroute... à tel point que dans les dîners en ville, on supputait la possibilité que ce parti, malgré son histoire légendaire, disparaisse de la carte à l'instar du Parti libéral britannique, qui s'est éteint en 1988 avant de réapparaître comme formation marginale sous le nom de Liberal Democrats.

L'incroyable s'est produit. Le PLC est non seulement au coude-à-coude avec les conservateurs, mais il serait même en progression au Québec. Au Québec où, il y a trois mois, on le jugeait en dehors de la course, confiné à sa base anglophone !

Il s'est pourtant passé peu de choses. Une annonce-choc et l'affaire du niqab. Le plan de type keynésien sur les infrastructures tranchait avec la prudence fiscale des autres partis et lui a permis de doubler le NPD sur sa gauche et d'apparaître comme le premier « parti du changement ». La controverse sur le niqab a nui au NPD bien davantage qu'au PLC, parce que Thomas Mulcair a été plus incisif dans la défense du niqab et que la dissidence de plusieurs de ses députés québécois l'a forcé à revenir sur le sujet.

Mais surtout, bien sûr, il y a eu le facteur Justin.

Le chef libéral a la chance inouïe d'avoir été l'objet d'attentes très faibles.

Ses gaffes des dernières années, qui oscillaient entre la candeur juvénile et la pure sottise, lui avaient collé une image de joli garçon à la tête vide. On s'attendait à ce qu'il s'effondre devant des politiciens aussi aguerris que MM. Harper et Mulcair.

Mais voilà, au premier débat anglais, M. Trudeau n'a pas fait mauvaise figure. Au débat de l'institut Munk, il s'est brillamment tiré d'affaire. Au premier débat français, il était figé, mais il s'est rattrapé au second débat. Réaction générale : finalement, il « était mieux qu'on pensait ! ». Exactement l'inverse de ce qui s'est produit avec Michael Ignatieff, qui a pris la tête du PLC précédé d'une réputation de grand intellectuel charismatique, et qui a déçu tout le monde.

Si le regard des autres a changé, Justin Trudeau, lui, n'a pas changé. Il reste ce jeune homme charmant et enjoué qui apporte un vent de fraîcheur et semble posséder un instinct politique assez sûr.

Mais a-t-il la maturité nécessaire ? C'est la question que beaucoup se posent. Non pas à cause de son âge (Robert Bourassa avait 36 ans, et Stephen Harper, 46, quand ils sont devenus premiers ministres), mais à cause d'une certaine légèreté d'esprit, de son côté « flower power » et d'une expérience professionnelle assez mince. Quelle sorte de chef de gouvernement ferait-il, en dehors d'une campagne électorale où il est soigneusement « breffé » par des experts ?

À propos du Partenariat transpacifique, il a eu une réaction déconcertante de naïveté en reprochant au premier ministre d'avoir « négocié dans le secret, sans transparence ». Or, les négociations de libre-échange s'effectuent toujours derrière des portes closes, non par des chefs de gouvernement, mais par des centaines d'experts (650 dans ce cas-ci !).

Curieusement, M. Trudeau a ajouté : « On va regarder ce que le gouvernement propose dans les mois à venir »... comme s'il ne croyait pas à ses chances d'accéder au pouvoir.

Autre épisode significatif : quand le PLC a dévoilé son plan économique détaillé, cela s'est fait, étrangement, en l'absence du leader. Son « brain-trust » craignait-il qu'il ne puisse répondre aux questions ? Ce jour-là, M. Trudeau passait du « temps de qualité » avec sa famille...

Les sceptiques se rassurent en se disant qu'une fois premier ministre, M. Trudeau serait bien encadré par des conseillers solides. Nous en reparlerons la semaine prochaine.