Lors du débat télévisé en anglais sur l'économie, Stephen Harper a mentionné en passant les « old-stock Canadians », traduction de « Canadiens de vieille souche ». L'expression est communément utilisée au Québec pour décrire la majorité canadienne-française issue de la colonisation de la Nouvelle-France.

Gros scandale chez les bien-pensants du Canada anglais, où nombre de commentateurs l'ont accusé de fomenter la division et de nourrir de sombres pensées racistes. Voilà un cas typique des dérives du multiculturalisme. N'a-t-on plus le droit de reconnaître un fait historique, soit l'existence d'un groupe de citoyens de très ancienne souche (375 ans dans le cas des Gagnon), sans que cela donne lieu à toutes sortes d'interprétations nauséabondes ?

Les Canadiens français, pour ne nommer qu'eux (il y a aussi un plus petit nombre de Canadiens d'ascendance britannique dont les ancêtres se sont installés ici au lendemain de la Conquête), ont une culture propre, une histoire propre. Ils ne sont pas de meilleurs citoyens que les autres, ils ne réclament aucun privilège. Simplement, leurs histoires familiales sont très différentes de celles des Canadiens dont les parents ont immigré plus récemment. 

Nos ancêtres n'ont jamais connu d'autre pays que celui-ci, jamais parlé une autre langue que le français, jamais connu l'exode. C'est un fait. Pourquoi serait-ce un sujet tabou ?

Le Québec est la seule province où se trouve concentrée une aussi forte proportion d'habitants de vieille souche (80 % !), ce qui évidemment lui donne un caractère distinct. Cette réalité historique, qui n'a rien de glorieux, mais rien de honteux non plus, a produit une culture spécifique, qui s'est notamment manifestée par l'émergence d'un mouvement souverainiste.

J'ai souvent utilisé l'expression qu'on reproche injustement à Stephen Harper pour designer la majorité francophone du Québec, notamment quand il s'agissait de décrire les blocs démographiques en présence dans le débat sur la souveraineté.

Pour désigner les descendants de la Nouvelle-France, on ne peut parler de « Québécois », car cela exclurait les minorités. On ne peut non plus parler de « francophones », car il y en a beaucoup qui le sont sans partager notre histoire (les Québécois d'origine libanaise, belge, etc.). L'expression « Canadiens français » serait la plus exacte, mais a une apparence démodée.

Au fait, contrairement à un préjugé très courant au Canada anglais, où l'on aime proclamer qu'à part les Autochtones « nous sommes tous des immigrants », nos ancêtres n'étaient pas des immigrants. Ils étaient des Français qui avaient signé un contrat avec les autorités de l'époque pour aller coloniser un territoire qui appartenait alors à la France, tout comme ces Français qui quittent la métropole pour aller enseigner en Martinique ou en Guyane.

Changement de sujet... Le débat sur le port du niqab aux cérémonies d'accès à la citoyenneté, un débat qui fait la joie des conservateurs et des bloquistes et qui rallie sans doute derrière eux une majorité de Canadiens, et certainement une très forte majorité de Québécois.

Sur cette question, j'avoue éprouver un sentiment d'irritation à voir cette dame défier, pour des raisons relevant peut-être autant du prosélytisme que de la foi, la société qui lui offre le privilège de sa citoyenneté (car c'en est un : demandez donc aux migrants qui risquent leur vie sur les mers s'ils aimeraient être conviés à cette cérémonie !).

Mais il faut, serait-ce sans enthousiasme, faire prévaloir la raison sur l'instinct. Or, la raison indique que pour préserver cet acquis inestimable et précieux que sont les libertés de religion et de conscience, il faut se ranger du côté des tribunaux qui ont donné raison à Mme Ishaq, d'autant plus qu'avant la cérémonie, elle s'était identifiée à visage découvert auprès d'une agente de la cour et que cette provocation (si c'en est une) ne fait de mal à personne.

Cela dit, je me garderais de bien traiter d'islamophobes ceux qui sont d'avis contraire. Ce serait injuste et abusif.