Le président de l'UMP Nicolas Sarkozy entend changer le nom du parti pour « Les Républicains ». Pardon ?

On accuse parfois le Québec de vivre en vase clos... Serait-ce aussi le cas de la France ? Aurait-on oublié, à l'UMP, que cette marque est déjà prise depuis 1854 par le Grand Old Party américain ?

Les Français se sont donné - exception culturelle oblige ! - un lexique politique unique au monde. Ainsi, ce n'est qu'en France que le mot « libéral » est synonyme de néo-conservatisme, alors que partout ailleurs le concept de « libéralisme » fait référence à l'ouverture et au progrès. Aux États-Unis, un socialiste sera même désigné comme un « liberal » ! Quant aux « valeurs républicaines » dont se targue la France, elles seraient simplement qualifiées, partout au monde, de « démocratiques ».

En adoptant le nom du grand parti de droite américain, l'UMP nuirait à sa réputation et sèmerait la confusion, au moins sur la scène internationale, où la formation passerait pour le petit frère du parti américain.

Cela lui serait d'autant plus dommageable que les républicains américains sont beaucoup plus à droite que l'UMP, une formation qui est nettement à droite sur l'échiquier français - un échiquier orienté à gauche depuis 1945 - mais qui serait considérée partout ailleurs comme un parti de centre droit, voire comme un parti libéral.

Selon un sondage, près de 55 % des sympathisants de l'UMP trouvent « trop américain » le nom proposé par M. Sarkozy dans ses efforts pour revitaliser et moderniser le parti avant la primaire qui choisira le candidat à l'élection présidentielle de 2017. Il est assez risqué de proposer un nom qui déplaît d'emblée à une majorité de sympathisants, et l'on se demande pourquoi Alain Juppé, d'ordinaire prudent, a donné son assentiment... Peut-être juge-t-il simplement qu'il ne vaut pas la peine, à ce stade, de contrarier le président du parti à propos d'une appellation qui pourrait bien être rejetée par les membres.

La proposition a été très mal accueillie par les formations de gauche. Non pas seulement par réflexe partisan, mais aussi parce que cela équivaudrait à usurper au profit d'un seul parti un concept qui appartient à l'ensemble de la nation. Les socialistes ne sont-ils pas aussi des républicains ? N'est-ce pas à toute la France qu'appartiennent les valeurs républicaines héritées de la Révolution ? « C'est une indigne captation d'héritage ! », écrit l'historien Jean-Noël Jeanneney.

Cela me rappelle le baptême controversé du Parti québécois. Lorsque René Lévesque a fondé son parti, en 1970, il jonglait avec toutes sortes de noms (Option Québec, Souveraineté-Association, etc.) mais ne voulait pas entendre parler du « Parti québécois », une proposition que pilotait avec vigueur l'un de ses bras droits (qui était aussi un fameux homme de droite), l'ancien député Gilles Grégoire.

Pour le grand démocrate qu'était Lévesque, il était impensable d'usurper le nom de la nation québécoise, un nom qui appartenait, comme le drapeau fleurdelisé, à tous les partis et à tous les citoyens, indépendamment de leurs options politiques. Lévesque fit valoir son point de vue au congrès, mais c'est la proposition de Grégoire qui remporta le vote final des délégués. Lévesque s'inclina de mauvais gré, mais il n'avait pas le choix ; il avait d'autres batailles plus importantes à mener auprès de ses délégués, notamment sur les droits linguistiques de la minorité anglophone.

C'est ainsi que naquit le PQ - avec le même sigle que celui de la province ! Cela allait ouvrir tout grand la porte à un puissant instrument de propagande : le PQ se présenterait désormais comme le seul parti des « Québécois »... ou des « vrais Québécois » !