La proposition est saugrenue - reconnaître et encadrer par amendement au Code du travail le droit de «grève» aux étudiants, comme s'ils étaient des salariés syndiqués. Néanmoins, cette idée fait l'unanimité chez les recteurs et les directeurs de cégeps!

Étrange? Pas tant que cela. Il est clair que ces derniers, dont la crainte d'exercer l'autorité qui vient avec leur fonction est notoire, veulent refiler la «patate chaude» à Québec.

Cela leur faciliterait la vie: un vote majoritaire pour la «grève»... et voilà, on ferme la boîte. Les patrons du réseau, dégagés de toute responsabilité, peuvent aller jouer au golf jusqu'à ce qu'un nouveau vote étudiant autorise la réouverture de l'institution - ou jusqu'à ce que le gouvernemaman ait réglé le problème.

Sauf que ce n'est pas aussi simple.

D'abord, même à supposer qu'à l'intérieur de ce nouveau cadre législatif, une association étudiante vote contre la grève, rien n'empêchera les anarcho-syndicalistes d'envahir l'institution pour stopper les cours, et les casseurs de vandaliser les lieux.

Les militants radicaux ne respectent pas les injonctions, car les tribunaux, à leur avis, sont l'instrument des fascistes au pouvoir. Pourquoi respecteraient-ils un vote majoritaire contre la grève? Il y aura donc quand même du grabuge et les administrateurs devront encore se résoudre à faire venir la police.

En reconnaissant formellement le droit de «grève» aux étudiants, le Québec serait, sauf erreur, le seul État au monde à s'embarquer dans cette galère.

Tous les pays démocratiques tolèrent que les étudiants boycottent leurs cours en guise de protestation, mais en parlant de «grève» plutôt que de fronde ou de boycottage, on travestit le sens des mots.

Les salariés qui font la grève retirent leur force de travail et, en contrepartie, peuvent être victimes d'un lock-out, sans compter qu'ils sont pendant ce temps privés de salaire.

Si les étudiants veulent vraiment être assimilés à de vrais travailleurs, le gouvernement (assimilé à un employeur!) devrait les priver de leurs prêts-bourses durant la période de grève et se garder le droit (équivalant au lock-out) de fermer d'autorité les établissements menacés par des troubles.

Quant aux malheureux qui voudraient quand même recevoir leurs cours, dans cette nouvelle logique, ils seraient considérés comme des «scabs» !

Les étudiants sont les bénéficiaires d'un service public. Ils ont le droit de refuser ce service, mais cela n'en fait pas des grévistes, pas plus qu'un groupe de bénéficiaires des services de santé qui décideraient de boycotter leur hôpital. (Que dirait-on si ces derniers voulaient empêcher d'autres malades de se rendre à cet hôpital?)

La confusion sémantique provient de la charte de Grenoble rédigée en 1946 par l'Union nationale des étudiants français. Sans toutefois mentionner la notion de grève, on y posait les bases du «syndicalisme étudiant» en définissant ce dernier comme un «jeune travailleur intellectuel». Mais jamais la fiction d'un droit de grève étudiant n'a été avalisée par l'État français ni par d'autres gouvernements. Le Québec est-il vraiment obligé d'être à l'avant-garde du monde entier?

Les partisans du «droit de grève» étudiant vivent en vase clos. Ainsi, le rapport Ménard sur le conflit étudiant de 2012 propose la reconnaissance étatique du droit de grève, mais s'abstient totalement de dresser le tableau de ce qui se passe (ou ne se passe pas) ailleurs, au-delà des «frontières» du Québec!

Le débat a d'ailleurs drôlement bien commencé: déjà, la Fédération étudiante du collégial annonce qu'elle veut bien la reconnaissance formelle de son «droit de grève», mais sans les balises (qu'elle déterminerait elle-même!). Bref, les droits sans les devoirs! Quant à l'ASSÉ, elle considère l'exigence d'un vote secret inconciliable avec sa pratique de la démocratie directe.

Ces réactions aberrantes sont une réponse méritée à une proposition stupide.