Dimanche soir, alors que la droite venait de remporter une victoire décisive aux élections départementales, Nicolas Sarkozy paraissait étrangement tendu, bien que le résultat ait eu de quoi calmer cet éternel nerveux.

Pas un seul sourire spontané dans un visage amaigri. Le geste raide, plus encore qu'à l'habitude. La chute de son bref discours était une réplique de celle du premier tour: «L'alternance est en marche et rien ne l'arrêtera!», de répéter le chef de l'UMP, comme s'il n'avait pas eu le temps de faire préparer un nouveau texte.

La fatigue, peut-être? Ou alors, serait-ce la conscience qu'il n'est qu'«en marche», justement, et que le fil d'arrivée (soit la victoire qu'il convoite aux présidentielles de 2017) est encore loin, trop loin?

Depuis son retour aux affaires, Sarkozy n'a pas eu la tâche facile. Sa cote de popularité a baissé chez ses anciens partisans. La plupart des poursuites judiciaires dont il était accablé sont tombées, mais ont nui à son image.

Lui qui voulait revenir en deus ex machina, il a dû, pour se fabriquer un tremplin, passer par une élection contestée pour la présidence de l'UMP, élection qu'il a gagnée avec 64,5% des voix contre deux poids légers du parti (en 2004, il avait été élu au même poste par 85% des voix).

Pis, contrairement aux chefs de parti des régimes parlementaires, il n'est même pas assuré d'être le candidat de l'UMP aux élections présidentielles, puisqu'il devra d'abord passer, contre son gré, par les primaires que le parti tiendra en octobre 2016.

Sarkozy, habitué au confort et au luxe, a hérité de la corvée de ménage dans un parti laminé par les dettes, la mauvaise gestion et les divisions internes. Au menu, un congrès de refondation où la «marque» détériorée de l'UMP sera remplacée par un nouveau nom. Sarkozy ne veut pas d'un autre sigle. Il pense à «Les Républicains», au risque d'introduire une confusion avec la droite américaine...

À l'UMP, on ne s'entend pas non plus sur la stratégie à mener devant le Front national. Faut-il lui piquer ses idées pour mieux le combattre, comme le fait Sarkozy depuis 2011, sous l'influence de son ancien conseiller, le sulfureux Patrick Buisson? Faut-il au contraire, comme le propose Alain Juppé, suivre une ligne modérée pour regagner les électeurs centristes? Contrairement à Sarkozy qui ne pardonne pas à François Bayrou d'avoir appuyé Hollande en 2012, Juppé en appelle réalistement à l'union avec le centre.

Sarkozy veut «abroger» la loi sur le mariage gai (une question sur laquelle même Marine Le Pen ne s'est jamais prononcée!). Il réclame l'interdiction du foulard islamique à l'université (Juppé n'est pas d'accord). Il insiste lourdement sur les dangers de l'immigration. Il s'insurge contre la pratique d'offrir des plats de substitution au porc dans les cafétérias scolaires, ce qui est bien le comble de la mesquinerie (pourquoi pas un plat végétarien les rares jours où l'on sert du porc?).

Devant un Sarkozy de plus en plus impulsif, qui lance des idées irréfléchies (il n'a jamais vraiment clarifié sa position sur le mariage gai), Alain Juppé surfe sur une vague de popularité que cet austère technocrate n'avait jamais connue.

Le vieux sage qui a fait un succès de sa ville de Bordeaux est même populaire à gauche! Les Inrockuptibles lui consacrent la une, les écolos apprécient ce cycliste enthousiaste, la presse de gauche lui consacre des portraits élogieux.

Sarkozy récoltera à court terme le crédit de la victoire de l'UMP-UDI aux départementales, mais Juppé sera un rival dangereux malgré son âge et son manque de charisme. Qui sait, les électeurs épuisés par une succession de leaders immatures et vindicatifs pourraient apprécier le calme et le sérieux après tant de tempêtes.