Y a-t-il un islam modéré? Bien sûr que oui. C'est toujours le cas de la Turquie, malgré la réislamisation qui s'est produite sous le régime Erdogan, et c'est surtout le cas de l'Indonésie: le plus grand pays musulman qui est aussi, avec ses 253 millions d'habitants (dont 90% de musulmans), le quatrième pays le plus peuplé de la planète, après la Chine, l'Inde et les États-Unis.

J'y ai passé quelques jours en février. Pas à Bali, l'enclave touristique de confession hindoue qui n'a pas grand-chose à voir avec le reste du pays, mais à Yogyakarta, une ville universitaire qui est le centre culturel du pays.

Beaucoup de femmes sont voilées - à l'oeil, une sur deux. Mais les hôtesses de l'air de la ligne aérienne nationale, Garuda, ont les cheveux libres et, à l'hôtel où j'étais, il y avait un congrès d'esthéticiennes: très coquettes, jupes courtes, pas l'ombre d'un foulard dans ce groupe.

Le foulard indonésien est très spécifique: il est taillé de façon à ancrer le tissu sur le haut du front, grâce à une sorte de visière qui facilite la pose. Il y en a de toutes les couleurs, souvent avec des imprimés chatoyants assortis à la tenue. Les plus pieuses se couvrent la tête et les épaules d'un voile blanc qui laisse toutefois le visage découvert.

Les femmes, par ailleurs très présentes dans toutes les professions, ne sont nullement obligées de porter le voile. La polygamie est légale dans la mesure où un homme peut prendre une seconde femme si la première est d'accord (!), mais elle est très peu pratiquée.

L'État est neutre et la charia n'est pas appliquée, sauf à Aceh, une province autonome située à la pointe nord de l'île de Sumatra qui a longtemps été, avant d'être dévastée par le tsunami, le bastion de l'intégrisme militant. En 2002, le parlement a formellement refusé d'entériner la charia dans le reste du pays.

On s'entend, on est ici dans une démocratie, mais pas une démocratie libérale. Une controverse y fait les manchettes concernant la peine de mort imposée à des trafiquants de drogue étrangers... mais la peine capitale est aussi pratiquée aux États-Unis!

L'Indonésie est une société relativement ouverte, mais très puritaine, même si elle est moins répressive que la plupart des pays musulmans. Ainsi, l'homosexualité est mal vue, mais pas illégale comme en Égypte. Et tous les restaurants de style international vendent ouvertement de l'alcool.

Nous y étions durant la semaine de la Saint-Valentin, une fête honnie par la hiérarchie religieuse parce qu'elle encourage «la promiscuité sexuelle»... Le conseil islamique suprême a même menacé de décréter une fatwa contre la vente de condoms, sous prétexte que cela encourage la prostitution et l'amour libre!

Le jeune président, Joko Widodo, le premier dirigeant du pays à ne pas être issu de la classe militaire ou possédante, se félicitait récemment que son pays soit «un modèle de tolérance religieuse». Effectivement, malgré la présence de nombreux groupes radicaux, l'Indonésie a connu peu d'attentats terroristes islamistes importants, à part celui de Bali, en 2002.

L'islam, ici, est non seulement une tradition enracinée, mais le seul facteur d'unité politique dans ce gigantesque archipel qui compte 17 000 îles, une infinie variété de coutumes, 700 langues et trois fuseaux horaires...

Petite note touristico-culturelle: la région de Yogyakarta recèle deux temples fabuleux apparentés aux merveilles du parc archéologique d'Angkor, au Cambodge. Borobudur, un temple bouddhiste massif, extraordinaire, et Prambanan, un temple hindouiste, autre témoin de la culture khmère d'Angkor Wat.

De Jakarta, on peut prendre un vieux train poussif pour Yogyakarta: sept heures fascinantes à traverser le centre de l'île de Java, avec ses plantations de bananiers et sa jungle luxuriante parsemée de petites localités...