Quel étrange personnage que Philippe Couillard! Son absence de réflexes, sur des questions sensibles, est ahurissante. La langue, l'histoire, voilà pourtant des sujets sur lesquels cet homme cultivé devrait être parfaitement à son aise.

Sa réaction initiale à l'idée que le pont Champlain serait désormais consacré à Maurice Richard a été au-dessous de tout.

Il la trouvait acceptable, cette idée stupide et démagogique, et s'en remettait entièrement au jugement d'Ottawa! De cette première intervention sur un sujet qui a pris des milliers de Québécois aux tripes, indépendamment de leurs allégeances partisanes, suintait l'indifférence envers l'histoire de ce peuple dont il est le principal représentant.

Deux jours plus tard, devant le tollé déclenché par ce projet indigne, M. Couillard changeait son fusil d'épaule, et demandait au fédéral de «bien réfléchir» avant de débaptiser le pont.

Cette intervention aurait eu plus de poids si elle avait été faite plus tôt, mais elle suffira probablement à faire reculer le ministre Lebel. Le fédéral ne peut prendre le risque, en pleine année électorale, de heurter de front le Québec sur un enjeu aussi émotionnel. D'autant plus que le maire de Montréal a clairement indiqué qu'il préférait le nom de Champlain.

Je n'exclus pas la possibilité que le premier ministre Harper mette son veto au projet insensé du ministre Lebel. M. Harper est un mordu du hockey, certes, mais il a du respect pour l'Histoire. Il a plus d'une fois rendu un vibrant hommage à l'oeuvre de Samuel de Champlain, et il se fait un point d'honneur de commencer tous ses discours en français, parce que, dit-il, «c'est en français qu'est né le Canada».

Voilà qui devrait servir de leçon à M. Couillard. En voyage officiel en Islande, ce dernier n'a pas dit un mot de français sous prétexte qu'il voulait être compris par son auditoire anglophone et que «tout le monde sait» que le Québec est francophone.

Il n'y avait bien sûr aucune objection à ce que M. Couillard prononce l'essentiel de son discours en anglais, une langue qu'il maîtrise très bien, mais il aurait dû amorcer son allocution par quelques mots en français, histoire d'indiquer le caractère français de ce Québec qu'il représentait.

Encore ici, c'est un problème qui relève d'un manque de sensibilité politique étonnant, d'une espèce de distraction congénitale, ou peut-être de l'absence de ce qu'on appelle l'intelligence émotionnelle, une carence qui peut frapper les êtres les plus intelligents.

Dans l'ensemble, la classe politique n'est pas sortie grandie de ce dernier épisode dans l'histoire tourmentée du pont Champlain, exception faite du PQ, dont l'opposition, toute prévisible fût-elle, était légitime et éloquente, et du maire Coderre qui a eu le courage d'affirmer, lui le populiste amateur de hockey, qu'il préférait garder le nom de Champlain.

Les porte-parole de la CAQ ont lamentablement cafouillé sur le sujet, pendant que MM. Trudeau et Mulcair se terraient peureusement dans leur coin. Seul Stéphane Dion a osé protester.

On a beaucoup parlé de «controverse» à propos de cette histoire, mais le qualificatif était mal choisi. Il s'est agi non pas d'un débat entre deux camps opposés, mais d'une immense réaction d'indignation à l'idée de débaptiser le pont Champlain.

La Presse a été inondée de lettres de lecteurs ulcérés qui tous, sans exception, se portaient à la défense du fondateur de la Nouvelle-France. Dans l'avalanche de courriels que j'ai reçus après ma chronique de mardi - l'un des courriers les plus abondants que j'aie jamais reçus - , il n'y en avait pas un seul qui réclamait «le pont Maurice-Richard».

Il n'y a pas eu de controverse. Seulement une grande vague d'indignation.