Je m'interrogeais mardi dernier sur les raisons qui auraient poussé les Danois à voter en si grand nombre pour un parti d'extrême droite xénophobe aux dernières élections européennes.

En Suède, autre pays scandinave, l'extrême droite n'a récolté que 9,7% des voix, trois fois moins qu'au Danemark. Chez les voisins flamands et néerlandais, le vote xénophobe est au-dessous de 18%. (La Norvège n'est pas membre de l'UE.)

En 1986, lors d'un long reportage sur l'immigration dans divers pays européens, j'ai vu s'esquisser à Copenhague cette réaction de rejet. Un rejet poli, enrobé de rationalisations (de beaux prétextes, autrement dit). Le genre de réaction lénifiante - certains parleraient d'hypocrisie - que l'on rencontre parfois dans les sociétés de culture protestante.

Rencontre avec le dirigeant d'un organisme qui s'occupe des réfugiés. Le Danois typique: réservé, rempli de bonnes pensées et de bonnes intentions. «Le problème, dit-il, c'est que nous ne pouvons pas accueillir les réfugiés comme nous le voudrions. Nous n'avons pas assez de logements... Or, au Danemark, on ne loge pas à six dans un deux pièces. Nous devons donc les refuser.»

Je lui fais observer que ces réfugiés préféreraient sans doute vivre à six dans un deux pièces plutôt que de croupir dans un camp de réfugiés... Mais notre homme est imperturbable: «Ce n'est pas le style de vie danois. La question des réfugiés est un problème international, c'est aux Nations Unies de s'en occuper».

On devait apprendre quelques années plus tard que le Danemark est, de tous les pays développés, celui qui collabore le moins avec les Nations Unies pour l'accueil des réfugiés.

Rencontre, à la mairie (socialiste) d'une ville de banlieue où était alors concentrée une bonne partie de l'infime population musulmane du Danemark (à cette époque, autour de 2%). L'adjointe au maire, elle aussi débordante de bons sentiments, nous explique le ras-le-bol de la population. «Ils ne se comportent pas comme nous. Au marché, par exemple, les femmes palpent les fruits avant de les choisir...» Je réprime mon envie de lui dire que je fais la même chose, malgré ma blondeur et ma blancheur de peau bien scandinaves.

Partout, j'entends la litanie des griefs habituels (voiles, endogamie, connaissance insuffisante de la langue danoise, etc.). Mais à chaque rencontre, mes interlocuteurs concluent l'entretien en me conseillant d'aller voir la rue X (je n'en retrouve pas le nom). «Vous verrez, on se croirait dans un souk, on n'est plus au Danemark...»

Je m'y rends, m'attendant à un dépaysement brutal. Cette rue emblématique censée illustrer un afflux migratoire intolérable tient sur quelques pâtés de maisons qui ressemblent à une section du boulevard Saint-Laurent... en moins cosmopolite. Petits commerces turcs, restaurants de kebab, il n'y a rien là! Je suis interloquée: l'homogénéité ethnique serait-elle si profondément inscrite dans l'ADN danois que la moindre différence culturelle prendrait des proportions abominables?

Depuis, l'immigration musulmane s'est accrue, au Danemark comme ailleurs. On parle actuellement de quelque 8% d'immigrants, dont une bonne partie provient des zones rurales de la Turquie - des musulmans généralement considérés plus difficiles à intégrer que les Arabes maghrébins, plus proches de l'Europe à tous égards.

Pourtant, l'Allemagne, elle aussi, accueille nombre d'immigrants turcs, et cela n'a pas provoqué la montée d'une extrême droite xénophobe, exception faite des petits groupes néonazis. Aux élections européennes, les Allemands ont voté pour des formations démocratiques, et le minuscule parti anti-européen qui a recueilli 7% du vote, le AfD (Alternative für Deutschland), s'il est contre l'euro et l'UE, n'a pas de positions anti-Islam et anti-Roms.

Bien sûr, le Danemark est plus fragile, plus craintif que l'Allemagne parce qu'il est 12 fois plus petit. Il reste que d'autres réflexions seront nécessaires pour expliquer ces réflexes de repli.