Coïncidence ou signe avant-coureur du destin? À la veille des élections de dimanche, qui ont servi de tremplin aux europhobes et aux eurosceptiques de tout acabit, Daniel Cohn-Bendit, ce juif allemand né en France qui incarne si bien l'Europe, annonçait son retrait de la politique.

Il a tiré sa révérence à 69 ans, usé par l'action politique et par les séquelles d'un cancer - et peut-être aussi miné par le secret désespoir de voir s'éroder le grand rêve européen.

«Il est le seul vrai Européen que je connaisse», confiait récemment au Nouvel Observateur l'ancien ministre allemand Joshka Fischer.

L'ancien contestataire de mai 68 converti à l'écologie parlait couramment les quatre principales langues de l'Union européenne (le français, l'allemand, l'anglais et l'italien). Il était de culture allemande aussi bien que française. Il a effectué ses quatre mandats de député vert au parlement de Strasbourg en se présentant alternativement en France et en Allemagne.

Mais il y a bien peu d'Européens sur le modèle de Cohn-Bendit. La plupart, c'est normal, sont plus attachés à leur territoire national qu'à cette superstructure plombée par sa pesante bureaucratie. Ce sentiment bien légitime, l'extrême droite populiste l'a hélas exploité sans relâche en le poussant jusqu'à la xénophobie et au rejet maussade de tout ce que représente l'Union européenne, de la monnaie unique à l'abolition des frontières et à la mobilité des citoyens.

Ces élections qui consacrent le Front national de Marine Le Pen comme premier parti européen de France et ont vu monter presque partout la vague eurosceptique, notamment en Angleterre et au Danemark, annoncent des temps durs pour l'Europe.

Certes, le camp du refus sera en minorité à Strasbourg - tout au plus le cinquième des sièges -, mais ce sera une minorité militante, dont le seul objectif sera l'affaiblissement, voire le sabordage, d'une union déjà empêtrée dans mille difficultés: celles causées par son élargissement trop rapide à l'est, par la crise financière qui perdure, par les troubles qui ébranlent son gros voisin ukrainien, par son incapacité chronique à développer une politique étrangère commune.

Est-il logique de vouloir siéger au Parlement européen quand on veut briser l'Europe? Pas vraiment, mais l'idée n'est pas neuve, comme l'a montré le Bloc québécois. (En France, incidemment, le mot «souverainiste» est aujourd'hui couramment appliqué aux europhobes... sans qu'il y ait de risque de confusion, car on ne parle presque plus jamais des souverainistes québécois.)

Ces élections sont également de très mauvais augure pour le gouvernement français. Le Parti socialiste n'a recueilli que 14% du vote, loin derrière l'UMP (20%) et le FN (25%).

On a beau dire que les élections européennes sont un peu comme nos élections partielles (un coup de semonce qui ne se reflètera pas aux élections nationales, celles qui comptent vraiment), il reste que le scrutin de dimanche avait aussi une forte connotation domestique.

Selon un sondage d'Ipsos-Steria (Le Monde du 24 mai), le rejet du gouvernement français est plus fort que le refus de Bruxelles: 65% des Français rendent leur gouvernement responsable de la mauvaise situation économique, tandis que seulement 43% blâment les politiques de l'UE.

Le même sondage montre que les Français ne sont pas aussi anti-européens que le laisse croire la montée du Front national. Si 52% pensent que l'appartenance à l'UE aggrave les effets de la crise, il n'y en a que 22% pour affirmer que cette appartenance est «une mauvaise chose». On voit donc que le vote FN est d'abord une intense réaction de colère contre un gouvernement qui a perdu sa crédibilité - une colère que la droite classique de l'UMP est incapable de canaliser... et qui pave la voie à d'autres victoires de la blonde Marine.