On se serait cru au Far West, quand le shérif tout puissant ramenait sa proie au village, pieds et poings liés, pour la livrer à la vindicte de la populace. Sauf que dans ce cas-ci, les Méganticois n'ont pas eu le réflexe d'applaudir.

Atterrés de voir que les vrais responsables de la tragédie échappaient à la justice, ils ont laissé parler leur coeur et leur bon sens, qui leur disaient que les trois hommes qu'on faisait défiler devant eux en menottes n'étaient que des boucs émissaires et qu'ils ne méritaient pas, malgré les erreurs professionnelles qu'ils ont (peut-être) commises, d'être traités comme de grands criminels.

Pourquoi la Sûreté du Québec a-t-elle fait parader ces hommes menottés devant le public et les caméras, après leur comparution au centre sportif, qui tient lieu de salle d'audience?

Pourquoi la SQ a-t-elle emprunté aux États-Unis cette dégradante coutume de la «perp walk» qui n'est pratiquement jamais utilisée au Canada? Qui peut imaginer que ces trois modestes quinquagénaires allaient tenter de s'évader ou menacer quiconque, en sortant de ce palais de justice improvisé sur les ruines de Lac-Mégantic?

Pourquoi n'a-t-on pas utilisé la porte arrière de l'édifice pour les soustraire à la vue des badauds et aux objectifs des photographes? Selon Me Thomas Walsh, l'avocat de M. Harding, il y avait une porte arrière, mais elle était verrouillée: pourquoi?

Pourquoi 10 policiers armés jusqu'aux dents pour terrasser, sous les yeux de sa famille, Thomas Harding, un paisible citoyen de 53 ans qui n'avait aucun dossier criminel ni la moindre histoire de violence dans son passé? Et ce, alors que l'avocat de M. Harding avait maintes fois laissé savoir à la SQ qu'il se rendrait volontiers à la police avec son client au jour et à l'heure indiqués par la SQ?

Pourquoi les policiers ont-ils fait circuler la rumeur que M. Harding était lourdement armé et qu'il aurait pu vouloir se suicider, alors qu'il leur avait déjà remis, en compagnie de son avocat, toutes les armes qui se trouvaient chez lui et qu'aucun indice sérieux, autre que des ragots de village, ne laissait croire qu'il aurait résisté à son arrestation?

Pourquoi? Pour humilier, voilà tout. Comme si la présomption d'innocence ne comptait pour rien.

Ce n'est pas la première fois que la SQ utilise des tactiques faites pour humilier les citoyens et pour donner à ses agents des airs de shérifs triomphants.

On a arrêté l'ancien maire de Montréal, Michael Applebaum, à son domicile, à six heures du matin, devant ses enfants, alors que ce dernier aurait pu être arrêté au bureau auquel il se rendait tous les matins.

On a «interrogé» Philippe Couillard après avoir guetté le moment où il sortirait de son domicile, alors qu'il aurait été plus simple et plus normal de lui donner rendez-vous à son bureau.

Il est temps que l'on mette fin à la culture de matamores qui s'est développée au sein de la SQ.

Le premier ministre Couillard a annoncé son intention de revoir le processus de nomination des patrons de la SQ, vraisemblablement en instituant un comité consultatif analogue à celui qui préside à la nomination des juges. Cela ne suffit pas.

La SQ a depuis trop longtemps, à tort ou à raison, la réputation d'être une police politisée, sinon politique. Ses chefs devraient être nommés par l'Assemblée nationale, ou à tout le moins, comme pour les corps policiers ontariens, sur recommandation d'un comité auquel participeraient des représentants de tous les partis.

En attendant, souhaitons que les ministres de la Justice et de la Sécurité publique s'assurent que la dignité des trois accusés de Lac-Mégantic soit préservée à l'avenir.