Mais non, Janette Bertrand n'a pas été «instrumentalisée» par le PQ. Cette affirmation relève d'une insupportable condescendance envers les personnes âgées, comme si elles n'étaient plus responsables de leurs actes.

Ma mère et ma belle-mère sont toutes deux mortes à 95 ans. Avec toute leur tête. Elles sont restées jusqu'à leur dernier jour des femmes intelligentes, lucides et très bien informées. C'est le coeur qui a lâché, pas le cerveau.

Loin d'être «déconnectée» de la réalité, comme disent ceux qui essaient de l'excuser, Mme Bertrand est parfaitement branchée sur un certain Québec, sur ce que notre société compte de plus réactionnaire et xénophobe.

Des gens qui voient l'immigration comme une menace jusqu'à en devenir paranoïaque, il y en a partout. C'est ce qui fait une partie du fonds de commerce du Front national en France et de tous ces partis d'extrême droite qui montent un peu partout en Europe. (Marine Le Pen, elle aussi, n'a que le mot «laïcité» à la bouche pour justifier ses politiques ethnocentristes.)

Effacez de la Charte péquiste le mince vernis culturel qui lui sert de masque (ô le noble concept de laïcité!), et vous avez Janette Bertrand, celle qui avait peur de se faire soigner par une médecin voilée et qui croit aujourd'hui que les Arabes de McGill vont la priver de sa piscine.

La Charte était déjà en elle-même une cynique machination pour récolter des votes, en surévaluant grossièrement le phénomène de l'intégrisme à Montréal et en réveillant les démons du nationalisme d'antan. Cette campagne où chaque parti fait flèche de tout bois a empiré les choses au-delà de la décence.

Pourquoi le PQ a-t-il donné, dans son gros meeting de dimanche, une tribune à Mme Bertrand, sachant qu'elle dit toujours ce qu'elle pense et se ferait encore une fois le candide haut-parleur des pires préjugés? Pourquoi le PQ est-il allé chercher une candidate comme Louise Mailloux, une intello celle-là, dont les angles d'attaque contre la viande cachère s'apparentent à l'antisémitisme le plus classique? Pourquoi le parti de René Lévesque est-il devenu cette formation méfiante et vindicative où l'amour de soi passe par la haine de l'Autre?

Il n'y a rien de mal à jouer la carte identitaire. On peut célébrer notre histoire, notre langue ou l'indépendance comme suprême moyen d'épanouissement. Mais s'en prendre aux plus vulnérables?

Parlant de langue, comment Philippe Couillard a-t-il pu cafouiller à tel point sur un sujet aussi sensible?

On parle de langue au Québec depuis un demi-siècle. Il n'y a pas d'argumentaire plus facile à développer que celui qui concilie le bilinguisme individuel et la primauté du français-langue commune. N'importe quel recherchiste débutant aurait pu lui écrire quelques lignes là-dessus.

Au lieu de quoi le chef libéral s'en va épiloguer, et en plein débat télévisé par-dessus le marché, sur l'idée saugrenue que chaque ouvrier d'usine devrait être bilingue pour pouvoir converser avec un client américain... M. Couillard en est encore à essayer de se dépêtrer de cette maladresse inexplicable. Si ce lamentable épisode lui fait perdre des électeurs, il n'aura que lui à blâmer.

Une pareille ineptie concernant un sujet aussi important que la langue, conjuguée à l'incapacité chronique du chef libéral à adopter des positions claires sur des sujets aussi cruciaux que la Constitution et la Charte, finissent par devenir inquiétants.

Non pas que M. Couillard représente, comme le proclame une Pauline Marois jamais à court de grossières hyperboles, un «danger» pour la langue française. Mais on sent là un manque de jugement et de présence d'esprit, une sorte d'inattention aux questions qui inquiètent les citoyens. C'est comme si cet homme énigmatique et déroutant souffrait d'une sorte d'autisme politique...