Désormais, la plupart des sans-abris en détresse seront emmenés au CHUM, plutôt que d'être répartis entre divers hôpitaux.

Cette décision fait l'affaire de la police et des travailleurs sociaux, qui voient leur travail simplifié, de même que des sans-abris, qui n'auront pas besoin de prendre le métro pour retourner au centre-ville.

Mais elle va engorger les urgences du CHUM et empirer le sort des malheureux patients qui s'y entasseront encore plus longtemps.

Le CHUM, qui manque déjà de lits, recevra la plus grande partie des itinérants, puisqu'il est pratiquement le seul hôpital situé dans l'est du centre-ville, où se concentrent les sans-abris.

Ces derniers représentent théoriquement quelque 10 000 patients, dont 70% souffrent de problèmes de santé mentale et 30% de troubles psychiatriques graves.

Le chef du service de psychiatrie du CHUM, le Dr Paul Lespérance, a eu beau protester, on voit bien que dans cette affaire, l'impératif politique pèse beaucoup plus lourd que les considérations d'ordre médical.

Car, enfin, quelle est la vocation du CHUM? Est-ce un hôpital de proximité, une agence médico-sociale, ou un hôpital universitaire?

Le CHUM, l'aurait-on oublié, est un hôpital universitaire, le seul à desservir les francophones de la grande région de Montréal (ses surspécialités attirent aussi des patients de partout au Québec). Sa vocation essentielle est de stimuler la recherche avancée et d'offrir des services de deuxième et troisième lignes à des patients gravement malades ou en attente de chirurgies extrêmement complexes (greffes, transplantations, etc.).

Un hôpital universitaire doit aussi traiter des cas relativement bénins, ne serait-ce que pour exposer les étudiants en médecine à un large éventail de cas, mais il s'agit d'une fonction en quelque sorte accessoire.

Les sans-abris ne sont pas la clientèle à laquelle est destiné un hôpital universitaire. Il leur faudrait plutôt une clinique adaptée à leurs besoins - idéalement un CLSC transformé, doté d'un accès pour les ambulances et d'un personnel comprenant des psychiatres, des infirmières spécialisées dans les pathologies de la rue, des hygiénistes et des travailleurs sociaux.

On apprenait, hier, que le maire Coderre s'est donné comme priorité la mise sur pied d'une agence sociale destinée à atténuer les problèmes de l'itinérance. Tant mieux, mais une agence peuplée de fonctionnaires ne suffira pas.

Il faut au moins une grande clinique médicale susceptible de «remettre sur pied» (serait-ce temporairement) les itinérants et de développer une expertise dans ce domaine, plutôt que de continuer à déverser cette clientèle bien particulière dans des hôpitaux de soins aigus, où ils ne recevront pas les services requis par leur état mental.

Il faudrait aussi, idéalement, prévoir la construction d'un réseau de logements protégés pour les sortir de la rue. L'itinérance ne doit pas être considérée comme un phénomène normal et acceptable dans une société civilisée.

En fait, le CHUM hérite de bien d'autres fardeaux qui ne devraient pas lui revenir et qui, à la longue, pervertissent sa raison d'être.

Il est devenu, au mépris de sa vocation, un lieu de transit pour des personnes âgées en attente d'hébergement qui n'ont nul besoin des ressources d'un hôpital universitaire et qui occupent des lits qui devraient servir aux «vrais malades». Le tiers des lits du CHUM, en psychiatrie, sont occupés par des cas du genre.

Autre question, pourquoi les services de soins palliatifs devraient-ils être logés dans les hôpitaux, à un coût faramineux, alors que ces malades en phase terminale n'ont que faire de la panoplie technologique d'un hôpital de soins aigus?

Pourquoi pas des centres adaptés, susceptibles de leur procurer du confort, du réconfort et des médicaments pour soulager la douleur?

Ce sont des questions qui se posent depuis longtemps. Il faudrait y voir.