Les dernières sorties de l'humoriste Dieudonné sont ignobles.

Un juif en pyjama rayé fait le pitre à Auschwitz. Les chambres à gaz? Allons donc, ce n'était qu'un gros BBQ, on y a trouvé une fourchette et des os de poulet!

Pour s'attaquer au journaliste de France Inter Patrick Cohen (un juif comme son nom l'indique), il fait allusion aux chambres à gaz.

Dieudonné est-il drôle? Non. Est-il une ordure? Oui. Faut-il pour autant interdire ses spectacles? Non, non et non.

Hélas, dans une offensive d'une stupidité sans borne, et qui n'aboutira qu'à rehausser encore davantage le statut de martyr dont jouit déjà l'humoriste, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls, appuyé par le président Hollande et la ministre de la Justice Christiane Taubira, a réussi à faire interdire le spectacle de Dieudonné, au mépris des libertés civiles dont l'ancienne patrie des Lumières devrait pourtant se porter garante.

À quoi sert en effet le principe de la liberté d'expression, si ce n'est à protéger le droit d'exprimer des idées impopulaires ou haïssables? Tel est le prix à payer pour que la liberté d'expression existe pour tous. Il y a une limite, oui, une seule: l'appel direct à la violence contre un individu ou un groupe déterminé.

Dieudonné est devenu un provocateur patenté qui carbure à l'antisémitisme. Mais une démocratie solide doit tolérer les provocations sans essayer de faire le tri entre celles qui sont géniales (qu'était le cubisme au départ, sinon une grossière provocation?), et celles qui procèdent de fantasmes tordus.

L'offensive des poids lourds du régime Hollande (lourdement appuyée par la droite, jamais en reste d'opportunisme) était manifestement destinée à faire de la récupération politique à l'heure où l'impopularité du pouvoir atteint un fond abyssal. Le pire, c'est qu'elle s'est doublée d'une intervention judiciaire absolument scandaleuse.

Le Conseil d'État (l'équivalent de notre Cour suprême) s'est réuni en vitesse le jour même du début de la tournée de Dieudonné et a rendu en moins de trois heures un verdict signé par un seul juge... Une parodie de la Justice, qui a transformé la hiérarchie judiciaire en bras servile du pouvoir politique, et annulé d'un seul coup une quinzaine de décisions contraires des tribunaux inférieurs, qui avaient tous invalidé, au nom de la liberté d'expression, les interdictions de spectacles décrétées par les politiciens locaux.

Il fallait ignorer Dieudonné, tout comme il aurait fallu, au Canada, ignorer Ernst Zundel, un obscur négationniste qui le serait resté si les tribunaux n'avaient pas exposé au grand jour ses diatribes antisémites. Comme Dieudonné, mais sur le mode pseudo-scientifique, Zundel niait l'existence de la Shoah. On aurait dû le laisser croupir dans l'ombre au lieu de lui intenter des procès, au risque que ses idées se propagent.

On devrait pourtant le savoir, toute censure a des effets pervers qui sont pires que le mal qu'on prétendait éliminer. Ainsi, les multiples condamnations dont il a été l'objet depuis quelques années ont fait de «Dieudo» un héros qui a atteint une notoriété qu'il n'aurait jamais eue autrement.

Depuis deux semaines, il fait la une de tous les médias. Sa popularité est à son zénith. Chez les jeunes issus de l'immigration, le paria est devenu le symbole de la révolte contre les élites, et la «quenelle», son geste provocateur (sorte de croisement entre le bras d'honneur et le salut nazi), le signe de ralliement de ceux qui en ont contre le «système» et aussi de ceux qui, sans nécessairement être eux-mêmes antisémites, considèrent qu'on a le droit de «rire de tout», de la Shoah autant que de Mahomet...

L'offensive du trio gouvernemental ne fera qu'empirer les choses.