Il était une fois une petite fille prénommée Lysiane. Plus tard, elle apprécierait ce prénom original, utile contrepoids à un patronyme trop répandu (plus banal que Gagnon, tu t'appelles Tremblay!), mais en ce temps-là, quand Noël approchait, ce prénom faisait son malheur.

Tous les soirs, sur les ondes de Radio-Canada, le père Noël s'adressait aux enfants. À coups de Ho-Ho-Ho bien sonores, il leur promettait de descendre bientôt du pôle Nord pour leur rendre visite, en les invitant à lui écrire pour lui dire ce qu'ils souhaitaient recevoir comme cadeaux.

Chaque année, la petite écrivait sa lettre au père Noël. On allait la poster avec la maman, aux soins de Radio-Canada. (Les soeurs, à la prématernelle, ne s'étaient pas contentées de faire jouer les enfants, elles leur avaient appris l'alphabet, et la maman, livres en main, avait fait le reste.)

À la fin de son émission quotidienne, le père Noël remerciait ses petits correspondants en récitant une série de prénoms. Merci à Jean, à Marie, à Luc, à Ginette... Hélas! Jamais son prénom n'était mentionné. Ce sera pour demain, disait la maman, mais le lendemain c'était pareil.

Pour la consoler, la maman prétendait qu'en saluant les Lise, le père Noël avait parlé des Lysiane, mais le mensonge ne passait pas. Ce n'est pas parce qu'on a quatre ans qu'on va croire n'importe quoi. C'était d'autant plus décevant que pour elle, le père Noël de Radio-Canada était le seul vrai.

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La maman l'emmenait voir le père Noël en chair et en os chez Eaton's - une belle sortie, car après on allait dans la grande salle à manger du 9e, où l'on servait aux enfants une boule de glace en forme de clown, avec un cornet en guise de chapeau. Mais quelque chose clochait dans le système: comment se faisait-il que le père Noël était en même temps dans tous les grands magasins de la rue Sainte-Catherine? Au moins, à Radio-Canada il n'y en avait qu'un seul. Le vrai.

Que demandait-elle au père Noël? Toujours la même chose: une petite soeur... Des jouets et des poupées, elle en avait plus qu'il n'en fallait. Dans la solitude de l'enfant unique, elle inventait avec ses poupées des histoires fantasmatiques de princesses esseulées et d'enfants perdus dans la forêt. Père Noël, donnez-moi une petite soeur...

Un jour, enfin, vint la preuve que ses lettres s'étaient bien rendues au pôle Nord!

La petite soeur, toutefois, n'était pas la compagne espérée, puisqu'elle se présenta sous la forme d'un bébé - un bébé tout mignon, mais avec lequel on ne pouvait pas vraiment jouer. Il fallait au contraire le protéger, et le prendre dans ses bras avec mille précautions, contrairement aux poupées qu'on pouvait trimballer n'importe comment. Il fallait aussi faire attention à la maman et l'aider dans ses tâches, avait averti le papa.

Le statut de la petite au sein de la famille avait changé. L'enfant gâtée, l'enfant-reine, l'enfant unique, était devenu la fille aînée, une personne avec des devoirs et des responsabilités. Le centre d'attention s'était déplacé sur le bébé.

Parfois, une fois couchée, elle entendait ses parents qui s'amusaient dans la salle à manger avec la petite soeur. Il était minuit, les parents riaient, le bébé gazouillait et elle était exclue de la fête! Le bébé avait tous les passe-droits, alors qu'elle devait rester confinée dans son lit! Pourquoi cette injustice? Parce qu'un bébé doit être allaité même la nuit, expliquaient les parents...

La vie était devenue plus compliquée. Mais le cadeau du père Noël avait illuminé la maison et, bientôt, le bébé allait commencer à parler puis à marcher, et l'on inventerait de nouveaux jeux...

À deux.