Le multiculturalisme est un terme vague qui peut signifier n'importe quoi, du meilleur au pire.

Le meilleur, comme dans les valeurs d'accueil, de tolérance et de respect de la diversité. Ou le pire, comme la haine de soi qui afflige trop de bien-pensants occidentaux, pour qui la vertu passe par l'auto-flagellation et la négation de leur propre histoire, et qui n'en finissent plus de s'effacer, quitte à rentrer dans le mur, pour laisser passer les autres.

Un bon exemple de cette attitude est un rapport explosif commandé par le premier ministre français Jean-Marc Ayrault.

Intitulé La grande nation: pour une société inclusive, il recommande, entre autres énormités, l'abandon du concept d'intégration des immigrants au profit d'une acceptation inconditionnelle des cultures immigrées, l'enseignement de l'arabe et de langues africaines dans les écoles publiques, le rejet de l' «eurocentrisme» et la dilution de l'histoire nationale au profit de celle des autres continents, dont l'Afrique au premier chef, et enfin, la nécessité, pour la France, d' «assumer sa dimension arabe-orientale» et de cesser d'honorer dans ses monuments et ses rues ses héros «mâles, blancs et hétérosexuels (sic)»... Au diable les Victor Hugo et les de Gaulle!

Ces recommandations, empruntées à l'insipide philosophie qui imprègne les départements de «Women studies», sont noyées dans un fatras verbeux d'une centaine de pages, signé par Thierry Tuot, le haut fonctionnaire à qui M. Ayrault avait demandé de redéfinir la politique d'intégration des immigrants.

Le poème qui sert d'exergue au rapport donne le ton: «...l'Étranger, superbe aux yeux profonds, à la démarche légère, aux lèvres mi-closes toutes frémissantes de chants...».

Sitôt ce rapport exhumé par Le Figaro, déclenchant le tollé qu'on imagine, le premier ministre s'est empressé de s'en dissocier, au mépris du fait qu'il avait lui-même choisi M. Tuot, dont les opinions étaient fort connues, comme maître d'oeuvre de la future politique d'intégration... et qu'il avait loué «la grande qualité» de ses travaux, quand le rapport lui avait été discrètement remis en février dernier. Il devait orienter les discussions sur l'intégration (ou la non-intégration!) prévues par Matignon en janvier prochain.

Le rapport litigieux comporte cependant plusieurs pistes fort valables, notamment des politiques de logement et des mesures d'égalité pour combattre la discrimination (tout à fait réelle), la reconnaissance due aux anciens combattants des ex-colonies françaises, etc.

On recommande aussi l'élimination de la loi interdisant le voile à l'école (une résolution impopulaire en France, mais très défendable) en souhaitant, autre résolution bien inspirée, que les mères voilées puissent participer comme accompagnatrices lors des sorties scolaires.

Malheureusement, ces pistes constructives ont été occultées par un multiculturalisme excessif qui paraît s'acharner contre l'identité française sur le sol même du vieux pays.

Le Canada a, lui aussi, connu plus que sa part d'excès inspirés par un multiculturalisme dévoyé. Ainsi la décision de la GRC d'autoriser le port du turban sikh chez ses policiers, et celle de la Cour suprême de permettre à une femme de témoigner en cour le visage masqué par un niqab, une décision qui porte atteinte aux droits de l'accusé.

Le pire a été l'épisode de la charia en Ontario, alors que Marion Boyd, une ancienne ministre de la Justice dans le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae, avait donné raison, dans un rapport explosif, aux groupes intégristes qui voulaient mettre sur pied des tribunaux islamiques pour régir les rapports familiaux (divorce, héritage, etc.) en fonction de la charia. L'opération a fait long feu, mais seulement après une vive controverse, ce qui montre que le multiculturalisme, quand il s'emballe, peut être aussi dangereux que la xénophobie.