Depuis des décennies, Montréal avait deux magasins de mode haut de gamme: Ogilvy et Holt Renfrew. Il n'y en aura plus qu'un.

Selfridges Group Ltd, propriétaire de Holt Renfrew, a acheté Ogilvy il y a deux ans, et vient d'annoncer la fusion des deux établissements.

Les collections de Holt déménageront dans l'immeuble d'Ogilvy, à l'angle des rues Ste-Catherine et de la Montagne, lequel sera agrandi par l'addition d'un nouveau bâtiment qui sera construit sur le site de l'ancien Hôtel de la Montagne... et sera connu sous l'appellation ampoulée de «Ogilvy, membre de la collection Holt Renfrew&Co».

Le futur mégamagasin couvrira 220 000 pieds carrés et nécessitera un investissement de 60$ millions.

Cette décision soulève plusieurs questions.

Ogilvy, une institution typiquement montréalaise depuis sa fondation en 1866, perdra-t-il son caractère distinct, une fois absorbé par la chaîne torontoise?

Qu'adviendra-t-il du bel édifice de Holt Renfrew, rue Sherbrooke Ouest? Héritage Montréal et les connaisseurs du patrimoine moderne de Montréal s'inquiètent du risque que Selfridges en dispose comme si c'était un bâtiment comme un autre.

Construit dans le style Art déco, ce ravissant bâtiment au coeur du Golden Square Mile, à deux pas du Musée des Beaux-Arts, est l'un des discrets joyaux du patrimoine architectural de Montréal. Il a été conçu dans les années 30 par la même firme d'architectes à qui l'on doit l'édifice Dominion Square et la magnifique salle à manger du

9e étage de l'ancien magasin Eaton, malheureusement laissée en friche par son propriétaire actuel, la société Ivanhoe Cambridge.

Transformera-t-on l'édifice de Holt en une autre tour de condos, avec, possiblement, des boutiques de luxe au rez-de-chaussée? En immeuble de bureaux? En annexe du MBAM?

Le communiqué officiel, vague et confus, parle d' «une offre marchande au profit de la communauté voisine». Interrogée sur le sens du mot «communauté», la vice-présidente de Holt, Johanne Nemiroff, mentionne le luxueux complexe du Ritz-Carlton, ce qui en soi écarte une rumeur voulant que le bâtiment désaffecté accueillerait une succursale de Joe Fresh, une chaîne de vêtements bas de gamme qui appartient également à Selfridges. Une rumeur dont Mme Nemiroff dit n'avoir jamais entendu parler.

Quant à Ogilvy, annonçait récemment le président de Holt Renfrew, il sera «réimaginé» par Holt Renfrew - une perspective qui n'a rien de réjouissant.

Holt ressemble à n'importe quel autre magasin de luxe qu'on trouve dans n'importe quelle grande ville. Ses collections sont formées des mêmes marques internationales que l'on voit partout, choisies par des acheteurs basés à Toronto, qui approvisionnent les onze magasins de la chaîne.

Ogilvy, par contre, est unique, avec un cachet plus original, plus européen, mieux adapté au goût de la clientèle montréalaise... et pour cause, puisque ses acheteurs sont montréalais.

On y trouve du Marie Saint-Pierre, de même que des marques françaises comme Anne Fontaine, Gérard Darel, Chie Mihara, Collange ou L'artisan parfumeur, et ses collections de prêt-à-porter sont, dans l'ensemble, plus abordables et plus fantaisistes que celles de Holt.

Mme Nemiroff assure qu'Ogilvy gardera son caractère distinct, notamment la superbe vitrine de Noël. Des sondages auprès de la clientèle détermineront si l'on conservera les éléments qui rappellent les origines écossaises de ses fondateurs, comme les sacs à motif de tartan et le joueur de cornemuse.

Selon Mme Nemiroff, il y aura un plus grand choix de marques (la plupart offertes par des boutiques locataires), et celles qui sont actuellement mélangées dans le rayon du prêt-à-porter seront mieux définies, avec leur espace propre. Et les acheteurs? Une partie d'entre eux seront Montréalais, dit-elle.

Souhaitons-le, car il serait dommage qu'une institution qui correspond si bien à l'esprit de Montréal soit sacrifiée aux goûts made in Toronto.