Parmi les nombreux malentendus suscités par le débat sur la charte des «valeurs», il y en a un qui est d'autant plus regrettable qu'il suffit d'une rapide vérification pour voir qu'il s'agit d'un mythe.

Je parle de la supposée corrélation entre la laïcité et l'égalité des sexes.

Prenons l'exemple du droit de vote, dont, à en croire leur court manifeste, les Janettes semblent craindre qu'il soit retiré aux femmes si l'on autorise le port de signes religieux dans le secteur public...

Passons sur ce raisonnement sans fondement même dans les fantasmes les plus échevelés, et revenons au droit de vote, effectivement l'une des plus anciennes conquêtes du mouvement de libération des femmes.

Or, il se trouve que dans cette France officiellement laïque depuis 1905, le droit de vote a été octroyé bien tard, soit en 1944, quatre ans après le Québec... lequel était sur ce plan en retard de plusieurs décennies sur le reste de l'Amérique du Nord!

Les femmes ont eu le droit de vote aux élections fédérales en 1918, et, dans les autres provinces, entre 1916 et 1922. Au Québec, il aura fallu la lutte incessante de femmes comme Thérèse Casgrain et Germaine Biron (la mère de Jacques Parizeau), et l'avènement du gouvernement libéral d'Adélard Godbout, pour que le Québec rattrape un retard de plus de deux décennies sur le reste du pays.

La laïcité, en France, n'a pas accéléré la reconnaissance d'autres droits (accès aux professions, égalité salariale, autonomie de la femme mariée, légalisation de l'avortement, etc.), ces acquis s'étant faits à peu près au même rythme que dans la moyenne des pays occidentaux.

Quant à savoir si la société française est plus ou moins sexiste que les sociétés anglo-saxonnes, on n'entrera pas là-dedans ici, mais la question se pose.

Si la loi 101 relève des droits collectifs (le droit d'un peuple à préserver sa langue), le mouvement féministe est le produit direct de l'idéologie des droits individuels, tout comme d'ailleurs la lutte des Noirs américains pour leurs droits civiques.

Tant pour la libération des Noirs que pour celle des femmes, il ne s'agissait pas d'octroyer un droit collectif à un groupe, mais de reconnaître l'égalité des individus entre eux.

Le féminisme contemporain est né en 1963 aux États-Unis, avec la publication de La femme mystifiée de Betty Friedan, qui allait être vendu à trois millions d'exemplaires et traduit en une douzaine de langues - un ouvrage lumineux, extrêmement bien documenté et beaucoup plus accessible que les réflexions cérébrales d'une Simone de Beauvoir.

C'est par l'entremise des anglophones que le féminisme moderne est entré au Québec, dans les années 70. À cette époque, les jeunes femmes francophones progressistes, séduites par les idéaux indépendantistes et socialistes, n'étaient pas spontanément portées à écouter le message féministe, alors que le mouvement bouillonnait déjà aux États-Unis et au Canada anglais.

Ce n'est pas par hasard que la révolution féministe a germé dans le terreau de sociétés de tradition protestante (Grande-Bretagne et États-Unis par exemple), car ce sont ces mêmes sociétés qui se sont donné une culture politique directement inspirée par le libéralisme (la France a eu de grands penseurs libéraux, de Voltaire à Raymond Aron en passant par de Tocqueville, mais le républicanisme français n'a pas vraiment embrassé les valeurs libérales.)

Faut-il le répéter, c'est de cette idéologie libérale que découle le droit à la liberté de conscience et de religion, liberté compromise par un projet de charte qui voudrait imposer au Québec un modèle français qui n'appartient pas à son histoire, le Québec s'étant bâti depuis deux siècles et demi sur le modèle de la démocratie britannique.