C'est avec une passivité étonnante que le Québec s'apprête à légaliser l'euthanasie - une pratique, notons-le, si délicate et controversée qu'elle n'a été reconnue que dans trois pays européens et deux États américains, et seulement après des débats douloureux.

Mais ici, exception faite des témoignages de spécialistes de soins palliatifs, la commission parlementaire qui vient de se terminer a complètement occulté les questions dérangeantes.

On pourrait presque parler de jovialisme, tant le consensus est large, au moins en ce qui a trait aux partis politiques et aux organismes officiels.

Mais y a-t-il vraiment consensus au sein de la population? Le Québec marche-t-il vers l'euthanasie les yeux fermés ou en toute connaissance de cause?

Un sondage d'Ipsos Marketing commandité en septembre auprès de 1010 Québécois par des spécialistes des soins palliatifs révèle en tout cas que le public nage en pleine confusion.

Seulement le tiers des Québécois connaissent le sens réel de «l'aide médicale à mourir», qui signifie l'injection d'un produit mortel administrée par un médecin sur un patient qui a réclamé la mort.

Pour 29% des répondants, il s'agirait simplement de soulager la douleur par des soins palliatifs; 22% s'imaginent qu'il s'agit de cesser l'acharnement thérapeutique, ou l'usage de techniques pour prolonger la vie artificiellement; et 16% croient qu'il s'agit de permettre au patient de s'injecter lui-même la substance mortelle. Par ailleurs, seulement 61% des répondants connaissent la définition correcte du mot «euthanasie».

Le vocabulaire utilisé par les politiciens (tous d'accord sur le projet de loi) est la source première de cette somme ahurissante de malentendus.

On parle de «mourir dans la dignité», une expression douce, qui évoque les soins palliatifs ou la cessation de l'acharnement thérapeutique. On parle de «continuum de soins», comme si le fait de tuer un patient (serait-ce à sa demande) s'inscrivait dans la pratique médicale classique. Même le titre officiel du projet induit les gens en erreur, car «l'aide médicale à mourir» est un parfait euphémisme pour désigner un acte exclusivement destiné à tuer.

Rien d'étonnant à ce que les sondages gouvernementaux brandissent des taux d'approbation phénoménaux!

Il y a une raison d'ordre politique à ce malentendu soigneusement cultivé. C'est que le suicide médicalement assisté relève du code criminel canadien, et que le gouvernement fédéral n'est pas près de légiférer sur la question même si l'idée fait son chemin au sein d'autres gouvernements provinciaux.

En laissant entendre que l'euthanasie est un acte médical inscrit dans une logique de «soins», le Québec cherche à ramener la question à son aire de compétence, puisque les services de santé relèvent du provincial. (Cette mise en scène s'effondrera dès qu'un groupe ou un citoyen contestera la future loi devant les tribunaux.)

Il reste qu'objectivement, en jouant sur les mots, la classe politique induit sciemment la population en erreur. Si l'on réclame la transparence dans des domaines aussi triviaux que l'octroi de contrats de pavage, ne serait-il pas encore plus important de l'assurer quand il s'agit de débattre d'une question aussi importante que le suicide assisté?

Il y a d'autres chapitres à venir. Ainsi, diverses personnalités influentes, dont l'ombudsman, réclament maintenant que le gouvernement se penche sur la façon de donner accès à l'aide médicale à mourir (sic) aux mineurs et aux personnes atteintes de démence. Pour les adultes, une déclaration d'intention anticipée suffirait. Quant aux enfants...

S'ils s'engagent sur cette pente glissante, les politiciens devraient se faire un point d'honneur d'informer adéquatement la population à la lumière des dérives qui se sont produites ailleurs, en Belgique par exemple, où l'euthanasie a été étendue à des gens d'âge moyen qui souffraient de dépression ou d'affections non douloureuses et non-mortelles.