S'il n'était embaumé dans le mausolée qui domine la place centrale de Hanoï, Ho Chi Minh se retournerait dans sa tombe en voyant qu'on a donné son nom à la très capitaliste Hochiminh Stock Exchange!

Mais peut-être l'Oncle Ho se réjouirait-il de voir son pays bien-aimé accéder enfin à la paix et à la prospérité qu'il mérite, après avoir mené des guerres victorieuses contre les deux grandes puissances qu'étaient la France et les États-Unis - sans compter les multiples affrontements avec l'ancien colonisateur chinois.

Deux grandes guerres, donc, sur le mode de la lutte entre David et Goliath, et dont chaque fois le petit Vietnam sortit vainqueur, mais ensanglanté.

L'astucieuse stratégie qui lui permit d'anéantir en quelques jours la base française de Dien Bien Phu, en 1954, lui coûta 30 000 hommes... car si, dans ses combats contre la France et les États-Unis, le Vietnam put compter sur l'aide militaire de l'URSS et de la Chine, ce sont les Vietnamiens qui en furent les maîtres d'oeuvre et les artisans: ceux qui creusaient en rampant des tranchées souterraines pour encercler les postes de Dien Bien Phu, ceux qui vivaient et s'armaient dans les tunnels de Cu Chi, ceux qui laissèrent leur jeunesse dans la jungle...

Mais ce peuple de héros est bien loin de jouer les martyrs. Contrairement à tant d'autres peuples confits dans la culture du ressentiment, et qui n'en finissent plus d'exiger excuses et réparations, les Vietnamiens, fidèles à la tradition de stoïcisme héritée de Bouddha et de Confucius, ont depuis longtemps tourné la page.

Tout au plus s'offrent-ils la fierté bien légitime d'étaler, dans leurs musées, les signes de leur bravoure et de cette brillante ingéniosité qui leur a permis de triompher de tous les Goliath.

Au musée d'histoire de Saïgon, les pieux taillés en pointe qui décimèrent, une fois plantés dans la rivière, les flottes mongoles au XIIIe siècle... À Hanoï, les restes dérisoires des avions militaires américains abattus par de petits guérilleros en sandales de caoutchouc... Mais le pays réel, loin de ressasser ces souvenirs atroces, est engagé à une vitesse d'enfer sur une tout autre trajectoire.

Les Vietnamiens ont retrouvé leur vraie nature que trois décennies de communisme avaient tenté d'éradiquer. Le petit commerce et l'esprit d'entreprise ont repris leurs droits, sur les trottoirs et les rivières, dans les marchés, les rizières et les deltas. Saïgon est un petit Shanghaï, et même les guides touristiques débutants veulent ouvrir leur propre agence de voyage.

On travaille, on s'enrichit, on innove, tout en grignotant, du matin jusque tard dans la nuit, dans des troquets de fortune d'où émanent des odeurs captivantes de coriandre, de menthe, de gingembre, de citronnelle, de piment, de poisson frit et de nuoc man... La cuisine vietnamienne est moins variée, mais plus légère que la chinoise. L'huile est remplacée par des sauces acidulées et parfumées, et les nouilles de blé, par des pâtes de riz aériennes.

La cuisine, de même que la nature, tiennent une grande place dans la littérature vietnamienne. À lire: tous les romans de la merveilleuse Duong Thu Huong, en particulier Les paradis aveugles, Roman sans titre, Au zénith et le déchirant Terre des oublis.

La grande romancière vit aujourd'hui en exil en France, mais nul ne parle mieux qu'elle du Vietnam, de sa culture, de sa vie quotidienne et des ravages de la guerre et de la dictature. Accessoirement, Riz noir d'Anna Moï. Lire Huong avant, pendant et après un séjour à Hanoï. Lire le court récit de Moï à Saïgon et dans le delta du Mékong.