Le Canada risque de perdre son plus important siège social international. Le quartier général de l'Organisation de l'aviation civile internationale, qui a pignon sur rue à Montréal depuis 1945, est convoité par le Qatar, qui fait campagne à coup de pétrodollars pour transférer l'OACI à Doha... ce qui se produira si 60% des 191 pays membres de l'OACI votent en faveur de la résolution qatarie à leur prochaine assemblée, en septembre.

Alors que les politiciens sérieux, à Montréal, Québec et Ottawa, oublient leurs divergences partisanes et font front commun pour faire barrage à cette «OPA hostile», il se trouve des gens - une poignée de députés néo-démocrates dont le discours est relayé par quelques commentateurs - pour accuser le gouvernement Harper d'être responsable de cette tuile qui s'abat sur Montréal, sous prétexte que l'offensive qatarie aurait été déclenchée en représailles contre l'étroite alliance que le gouvernement Harper a nouée avec Israël.

C'est de la petite politique minable - ou du délire idéologique. Loin de tenir à une solidarité avec les Palestiniens, la démarche qatarie s'inscrit dans un contexte où nombre de pays émergents en ont contre le fait que toutes les agences des Nations-Unies sont situées en Amérique du Nord et en Europe, et réclament leur part du gâteau. Il y a quelques années, Singapour avait elle aussi essayé de mettre le grappin sur l'OACI. Dans la foulée, l'OACI en profite pour exiger du Canada un «contrat» plus avantageux en échange de son maintien à Montréal.

Pour le Qatar, le parti-pris pro-israélien du gouvernement canadien ne serait, tout au plus, qu'un prétexte parmi bien d'autres pour convaincre certains pays musulmans de voter en faveur de Doha. Dans sa campagne, le Qatar a toute une panoplie d'arguments, du manque de liaisons internationales de Dorval au fardeau fiscal trop élevé, en passant par les tempêtes de neige qui affectent Montréal... remarque piquante, venant d'un pays désertique où il fait 50 degrés l'été!

L'offensive du Qatar s'explique essentiellement par l'appétit inassouvissable de pouvoir qui caractérise l'émirat qatari, dont l'influence s'est accrue avec la création de la puissante chaîne Al-Jazeera.

Le Qatar, grâce à sa fabuleuse richesse pétrolière, s'est approprié les patrimoines les plus précieux de Londres, de Paris et de la Méditerranée. Il a des investissements partout au monde et joue fortement des coudes sur la scène politique. Il est devenu le principal acheteur d'art de la planète.

Rien n'échappe à la pieuvre richissime. Il ne lui manque que le prestige d'avoir dans sa capitale un organisme international... et ce sera, s'il n'en tient qu'à elle, l'OACI.

Pour le Québec, le départ de l'OACI, qui déverse 119$ millions par année dans l'économie montréalaise, et qui est, avec l'Association du transport aérien international (IATA), la pièce maîtresse du pôle aérospatial de la métropole, serait une catastrophe. C'en serait une également pour son personnel.

Comme le signalait dans ces pages Me André Sirois, un familier de l'ONU, les employés devraient quitter une société libre et un état de droit pour «une société musulmane intégriste où les étrangers sont des citoyens de seconde classe», et où la garantie de procès juste et équitable n'existe pas. Sans parler de la condition des femmes... Les employés devraient sans doute laisser leur famille dans leurs pays d'origine.

Ce n'est pas sans raison, souligne Me Sirois, que toutes les agences de l'ONU sont situées dans des pays démocratiques. Si encore on parlait de transférer l'OACI au Brésil, en Inde ou au Mexique... mais dans une monarchie absolue qui vit à l'ombre de la charia, dans une région potentiellement explosive? Ce serait un coup de plus à la crédibilité de l'ONU.