Il y a des jours où je regrette l'époque où l'on pouvait voyager en s'extrayant complètement de son milieu. C'était durant l'ère antédiluvienne où l'internet n'existait pas.

Je partais et je revenais trois semaines plus tard sans savoir ce qui s'était passé au pays, sans même savoir, pour peu que ma destination fût un peu exotique, ce qui s'était passé dans les capitales occidentales... Au retour, je demandais à mes proches de me raconter ce que j'avais raté, mais comme nous vivons dans un pays paisible où il ne se passe jamais rien de fracassant, ils n'avaient pas grand-chose à dire.

« Laisse-moi voir... Ah oui, le ministre Untel a démissionné, il y a eu une grosse tempête de neige, et puis, euh... » Ils évoquaient souvent des événements qui s'étaient produits avant mon départ!

Il reste que c'était amusant de rentrer chez soi en se demandant quelles surprises vous attendaient.

J'avais un rituel. Au retour, je passais à travers l'énorme pile des deux journaux auxquels je suis abonnée, La Presse et le Globe and Mail. Cet exercice de rattrapage intensif me ramenait à la maison et à mes habitudes, et me replongeait dans le bain d'un travail que je retrouvais toujours avec d'autant plus de plaisir que j'avais pleinement profité de mes vacances.

Tout cela est bien fini. Ces trois dernières semaines, j'étais au Vietnam et au Cambodge... mais je suivais chaque jour sur mon iPad ce qui se passait dans le reste du monde et en particulier chez nous. Eh non, je n'ai rien manqué même si, parfois, j'aurais préféré la béate ignorance.

N'étant pas accro à l'internet, je ne passais pas plus d'une demi-heure par jour à patouiller ma tablette, mais cela suffisait pour briser l'atmosphère, pour me faire retomber dans le boulot et m'arracher pour quelques moments  à l'Asie du Sud-est.

Pourquoi alors traîner son iPad en voyage? Qu'est-ce qui vous forçait donc à l'ouvrir et à le recharger tous les deux jours?

Ah, chers amis, c'est que la nature humaine, a fortiori la nature de la bête journalistique, est ainsi faite qu'on ne peut volontairement s'abstenir de s'informer lorsqu'on en a les moyens techniques. Or, presque partout, même dans les zones de guerre, les hôtels le moindrement bien équipés ont des connexions internet. Il faudrait aller dans la brousse pour être coupé du monde, mais je ne suis pas amatrice de safaris!

La possibilité d'entrer en contact instantanément avec le reste de la planète est un bienfait inouï, un progrès incontestable. Qui voudrait retourner à l'isolement des temps anciens? Certainement pas moi.

Mais ce progrès a un prix. Le canal miraculeux qui vous projette en même temps, où que vous soyiez, à Montréal, Rome, Caracas ou Damas, engendre un éparpillement mental qui vous empêche de vous concentrer exclusivement sur le pays où vous vous trouvez physiquement. C'est comme faire l'amour en écoutant les nouvelles...

La bulle qui naguère vous aurait enfermé dans la contrée à découvrir a éclaté, faisant entrer par mille fissures le vacarme planétaire. Vous n'êtes plus ce voyageur ravi, envoûté, immergé corps et âme dans une nouvelle culture, vous êtes un voyageur de passage qui regarde défiler le paysage tout en gardant un oeil dans le rétroviseur.

Depuis le fin fond du village de Hoi An, mon mari a commandé un roman vietnamien sur Amazon et une minute plus tard, il l'avait ouvert sur son lecteur numérique. Mais je suis dans le dernier carré des résistants. En voyage, si j'ai cessé de courir les kiosquiers dans l'espoir d'y dénicher un journal français ou anglais, je lis encore des livres en papier...