Jean-François Lisée a-t-il remisé au vestiaire de l'Assemblée nationale l'esprit acéré qui le caractérisait comme journaliste?

En tant que ministre responsable de Montréal, il vient d'octroyer une subvention de 20 000$ à la propagation d'une chanson intitulée Notre Home, le home étant le Québec vu par de jeunes anglos.

Pire, M. Lisée a convoqué une conférence de presse pour en faire l'annonce, tant il était fier de son initiative.

On rêve ou quoi? Les péquistes, qui se croient les seuls gardiens de la langue française, pètent les plombs devant une affiche bilingue ou l'inoffensif «hi, bonjour» qu'on entend parfois au centre-ville... et les voilà qui subventionnent un titre franglais!

La vidéo nous montre des jeunes de diverses ethnies qui gambadent et se baladent dans des endroits indéfinis qui pourraient être à Brooklyn ou à Toronto (on croit cependant deviner le lac des Castors) en se lamentant dans les deux langues du sort qu'on leur fait dans ce home qu'ils veulent pourtant aimer.

Traduction (très libre) d'une prose approximative qui se déroule sur une musique plutôt poussive: «Même si nous sentons que ce que nous sommes va disparaître, nous gardons la foi... Ils continuent à faire des règlements qu'on ne comprend pas et c'est comme si personne ne s'intéressait à nous, et même entourés du reste du monde, nous nous sentons seuls, mais personne ne veut s'en aller... ne partons pas, célébrons cet endroit que nous appelons notre home, chacun fait sa part... Que l'amour parle plus fort que tous vos droits!».

Comme sentiment d'appartenance, c'est pour le moins ambigu!

M. Lisée souffre de paternalisme aigu s'il s'imagine que ce genre de témoignage pourra amoindrir le sentiment d'aliénation des anglophones québécois, un sentiment du reste tout à fait compréhensible (mais que lui-même, je crois, ne comprend pas bien).

Ce qui me frappe aussi dans cet incident, c'est que le franglais, peu à peu, s'installe comme marque identitaire des deux côtés de la barrière linguistique... et que personne, parmi tous ces zélotes de la langue qui polluent l'atmosphère, ne semble s'en inquiéter.

Au contraire, M. Lisée semble trouver charmante la juxtaposition de «notre» et de «home», tout comme nos critiques artistiques se sont pâmés sur le titre de l'avant-dernier spectacle de Sugar Sammy, You're gonna rire.

À comparer avec ces mélanges incestueux à l'intérieur d'une même phrase, l'expression «Hi, Bonjour» qui scandalise nos bien-pensants est parfaitement correcte. Cette formule d'accueil est peut-être simpliste, mais elle respecte l'intégrité des deux langues, car les deux mots sont bien distincts.

Tout cela m'amène à Richard Garneau, qui vient de disparaître, et à Pierre Nadeau, qui lui rendait hier dans ce journal un témoignage si touchant. Deux grands professionnels, qui maîtrisaient admirablement la langue française...

Que devient cette magnifique tradition radio-canadienne, à l'heure où la télévision publique est devenue le terrain de jeux de comiques incultes et de scénaristes qui n'ont de cesse de rabaisser notre langue déjà si malmenée?

La radio d'État reste l'un des rares lieux où l'on se soucie vraiment de la qualité de la langue, mais en soirée, cela se gâte avec un groupe de comiques aux blagues d'une accablante débilité, dont la langue est si relâchée qu'ils en deviennent inaudibles. (Rien à voir avec les formidables imitateurs d'À la semaine prochaine, une émission intelligente et très drôle.)

Surtout, ne me dites pas que les Français utilisent (parfois) le franglais. Ce qui est chez eux du snobisme ou de la coquetterie est létal chez nous.