On me pardonnera cet atroce calembour, mais c'est vrai, l'arrivée de Michael Applebaum est un baume pour Montréal, cette ville salie et humiliée que le nouveau maire par intérim se promet de relever.

L'homme a de la poigne. On ne lui fera pas prendre des vessies pour des lanternes. Un gros changement par rapport aux précédents maires Bourque et Tremblay, ces grands naïfs pour qui les bons sentiments tenaient lieu de politique et qui ont innocemment laissé germer la corruption sous leurs pieds.

Gros changement, aussi, que l'habileté politique avec laquelle M. Applebaum a procédé pour prendre le pouvoir, en rompant avec un parti aujourd'hui discrédité et en offrant aux partis d'opposition la chance de former une administration de coalition.

Leurs chefs, Louise Harel et Richard Bergeron, ont été à la hauteur de la situation: pas une once de démagogie, que du sérieux et de la bonne volonté. Cette trêve ne durera peut-être pas longtemps, mais ce fut un beau moment de calme dans l'existence tourmentée de Montréal.

Michael Applebaum incarne aussi, en quelque sorte, la fin d'une très longue anomalie. Dans cette ville largement bâtie par les descendants d'immigrés écossais et irlandais, il n'y avait eu aucun maire anglophone depuis 1910.

Michael Applebaum est également le premier maire juif dans toute l'histoire de Montréal, une histoire pourtant si fortement marquée par la présence de l'ancienne communauté juive à qui l'on doit une bonne partie de la vitalité économique, artistique et intellectuelle de la métropole.

Le fils de Moishe Applebaum, dont la famille a tenu pendant 85 ans un magasin de chaussures à l'angle des rues Notre-Dame et Atwater, est un Montréalais pure laine, qui parle le français couramment, avec l'accent des petits commerçants juifs, bilingues de père en fils, qui ont appris la langue de leurs voisins et clients francophones. Son français aux voyelles abimées est aussi montréalais que celui des personnages de Michel Tremblay.

Si le passé est garant de l'avenir, M. Applebaum sera un maire entreprenant et un travailleur acharné. À 13 ans, il travaillait dans la boutique avec son père («mon meilleur ami», dit-il). À 18 ans, étudiant à Dawson, il ouvrait son premier magasin de vêtements, avant de reprendre la boutique familiale.

Devenu un prospère courtier immobilier, il tomba dans la politique municipale en 1993 un peu par hasard, mû par un réflexe de père de famille ulcéré de voir l'administration Doré fermer 30 patinoires extérieures.

Ensuite, ce sera la mairie de l'arrondissement Côte-des-Neiges-Notre-Dame-de-Grâce, où, dit-on, il faisait des semaines de 60 heures... et puis, avant le grand saut, la présidence du comité exécutif.

Il y aura un souffle d'air frais à l'Hôtel de Ville, où les séances du comité exécutif seront ouvertes au public. Ensuite, de concert avec le gouvernement québécois, le grand coup de balai pour effacer la tache - pas indélébile, précise le maire - de la corruption.

Peut-être cette administration de coalition, conjuguée à l'effritement d'Union Montréal, aura-t-elle aussi pour effet d'amoindrir la mainmise des partis sur l'Hôtel de Ville, à tout le moins d'engendrer un débat sur l'utilité des partis municipaux (qui n'existent nulle part ailleurs au Canada sauf, dans une certaine mesure, à Vancouver).

Faut-il vraiment, pour gérer les services de proximité d'une ville, des partis politiques en bonne et due forme comme à Québec ou à Ottawa?

M. Applebaum s'est engagé à ne pas se présenter comme candidat à la mairie aux élections de novembre 2013, pour avoir les mains libres d'agir sans arrière-pensée électoraliste.

Mais si ce maire de transition se révélait excellent, l'opinion publique pourrait bien s'empresser de le délier de sa promesse.