Grosse levée de boucliers, en France, contre le mariage gay.

Comment expliquer la férocité de la réaction, dans une société où l'échangisme est pratiqué comme une distraction du samedi soir par des bourgeois bon chic bon genre, où un horrible sadique est communément honoré sous le délicat qualificatif de «divin marquis», et où la plupart des honnêtes gens voient mal la différence entre flirt et agression?

Bien sûr, vous me direz que les catholiques pratiquants qui sont descendus dans la rue la semaine dernière, derrière des contingents de curés en soutane, ne sont pas les mêmes Français que les amis libertins de DSK et les adorateurs du marquis de Sade.

Depuis la Révolution, il y a en France deux pays distincts, dont l'un descend des Chouans et des Vendéens, fidèles au roi et à l'Église, et l'autre des républicains laïques. Ces derniers sont aux commandes de l'État, mais de temps à autre le camp vaincu relève la tête et reprend la rue.

La plus grande manifestation contemporaine, à Paris, a été celle qui a regroupé en 1984 près d'un million de partisans de l'école «libre» (catholique) contre le gouvernement Mitterrand qui voulait abolir le statut des écoles privées.

Mais revenons au mariage gay (les partisans du québécisme «gai» me pardonneront de reprendre l'orthographe en vigueur en France, une habitude qui a l'avantage de laisser à la langue française le sens premier d'un joli adjectif synonyme de légèreté et d'allégresse.)

Sous des gouvernements de gauche, l'Espagne a reconnu le mariage homosexuel en 2005, et le Portugal, en 2010... et les gouvernements actuels, de droite, ont maintenu la loi. Ce sont pourtant des pays bien plus conservateurs, socialement, que la France, et l'emprise de l'Église y est bien plus forte.

Le Canada l'a reconnu en 2005 sans que cela ne provoque de drame. Dans ces États-Unis que l'on dit puritains, une dizaine d'États l'ont légalisé. Détail qui ne ment pas, Obama a même pu se déclarer en faveur du mariage gay en pleine campagne pour sa réélection!

Mais dans la France de toutes les libertés, le projet de légalisation du gouvernement Hollande passe mal, et cette fois le clergé catholique a reçu le renfort des imams et des rabbins.

Dans la patrie de la raison et du cartésianisme, les arguments sont d'une irrationalité à faire pleurer.

L'archevêque de Lyon, un prélat par ailleurs très progressiste, soulève le spectre de l'inceste (?), et le sénateur Dassault s'exclame ingénument que «dans dix ans, il ne restera plus personne», autrement dit la race humaine s'éteindra... comme si, une fois le mariage gay légalisé, 99% des gens allaient se découvrir homosexuels et cesser de faire des enfants!

Évidemment, là où le bât blesse surtout, c'est en ce qui concerne la filiation, le droit à l'adoption et l'accès à la procréation assistée, car qui dit mariage dit famille. Là-dessus, les Français, dont une faible majorité est favorable au mariage gay, se divisent moitié-moitié.

Mais pour l'instant, le débat se concentre sur la possibilité que les maires (seuls officiants du mariage) se désistent en faveur d'un adjoint pour cause d'objection de conscience. Le président Hollande, qui est d'un naturel pragmatique et accommodant, était prêt à permettre ces délégations, mais la gauche l'a si bien sermonné qu'il s'est contredit le lendemain.

Comme toujours dans cette France, qui est pourtant - autre paradoxe - le pays de la mesure, les positions sont rigides et polarisées...