On a beau les accuser de tous les maux, peu de pays ont évolué de manière aussi fulgurante que les États-Unis.

Ceux qui se souviennent de l'élection de John F. Kennedy savent à quel point l'appartenance religieuse du candidat - ô scandale, il était catholique! - avait joué contre lui, dans ce pays où le pouvoir était exclusivement aux mains des WASP, les White Anglo-Saxon Protestants.

Or, quels sont les hommes qui se disputent aujourd'hui le pouvoir? Romney, Biden, Ryan et Obama. Un mormon, deux catholiques... et le seul protestant du groupe est un Noir!

Les Européens adorent se moquer du conservatisme social des Américains. Pourtant, au pays du Tea Party et des évangélistes, l'idée du mariage gai fait son chemin, État par État, beaucoup plus facilement qu'en France, patrie de l'amour libertin. Le gouvernement socialiste de Hollande a mis le projet sous le boisseau, alors qu'Obama y souscrit ouvertement.

Le racisme? Oui, le racisme. Aux États-Unis comme ailleurs. Mais combien d'Arabes, combien de musulmans trouve-t-on parmi les dizaines de milliers d'élus et d'édiles français - maires, conseillers régionaux, présidents de régions, préfets, députés et sénateurs? Nulle comparaison avec le paysage politique extraordinairement multiculturel et multiethnique qu'offrent les États-Unis.

Et ce n'est pas fini. Les démographes prédisent que d'ici un demi-siècle, les Blancs non hispaniques seront en minorité aux États-Unis.

C'est peut-être cela qui explique, en partie, le Tea Party: dans cette optique, ce mouvement serait une réaction contre une «disparition» appréhendée, contre l'angoisse de voir s'effondrer peu à peu l'idée qu'on avait de son identité nationale.

Pourtant, c'est justement ce qui fait la grandeur des États-Unis: cette infinie capacité d'accueil qui en fait un bouillon de culture en perpétuelle effervescence.

Il reste que le vote d'aujourd'hui sera nettement clivé sous l'angle ethnique. Si la majorité des hommes blancs penchent du côté de Romney, 95% des Noirs voteront pour Obama. Mais cette adhésion massive n'exclut pas le désenchantement.

Dans le New York Times du 28 octobre, Fredrick C. Harris, spécialiste des questions africaines-américaines à l'Université Columbia, soutenait que «la présidence d'Obama a marqué le déclin d'une vision politique axée sur la contestation des inégalités raciales».

«La tragédie, dit-il, c'est que les élites noires - intellectuels, militants des droits civils, politiciens, clergé - ont accepté ce déclin, qu'ils voient comme le prix à payer en échange de la satisfaction d'avoir une famille noire à la Maison-Blanche.»

S'il concède volontiers que les politiques socio-économiques d'Obama, notamment la réforme de l'assurance-santé et le sauvetage de l'industrie automobile, sont bénéfiques pour les Noirs (comme pour les Blancs de milieux défavorisés), la condition des Noirs ne s'est pas améliorée sous le règne du premier président noir.

Selon l'universitaire, les Noirs américains restent deux fois plus victimes de la pauvreté et du chômage que les Blancs - une inégalité fondamentale à laquelle Obama ne s'est jamais directement attaqué. Il a très peu parlé de profilage racial, d'action positive, de politiques d'habitation ou de formation destinées aux minorités défavorisées.

En fait, c'est surtout les leaders de la communauté noire que blâme M. Harris. Il leur reproche d'avoir souscrit à l'idéologie qui privilégie la réussite personnelle plutôt que l'action collective, et d'avoir fermé les yeux sur les lacunes de l'administration Obama par pure loyauté ethnique, alors qu'ils ne s'étaient jamais privés de critiquer Bill Clinton, qui était lui aussi extrêmement populaire chez les Noirs. Cette fois, conclut M. Harris, l'intelligentsia noire a préféré le symbole à la substance.

Ce jugement est peut-être trop dur. Mais il est vrai que les «role models», aussi prestigieux soient-ils, ne peuvent transformer une société en profondeur.