Dans la crise étudiante, il y a un net clivage entre la région montréalaise, où se concentre l'agitation, et le reste de la province. Même le cégep de Limoilou, qui a toujours été un foyer de contestation étudiante, fonctionne normalement...

Mais il y a un autre clivage, encore plus spectaculaire, et celui-là a en quelque sorte scindé la ville en deux. C'est celui qui existe entre les francophones et les anglophones.

Pendant que les institutions françaises étaient déchirées à des degrés divers par le conflit, du côté anglophone, l'heure était au calme... et aux études.

Au collège Dawson, une institution du centre-ville qui est en quelque sorte le pendant anglais du cégep du Vieux-Montréal, 4000 étudiants ont participé au vote (secret) et écarté la grève. Même chose au collège John Abbott, où l'association étudiante a organisé un référendum (avec votes secrets) qui a duré toute la journée. On notera ici la procédure très démocratique qui a encadré ces décisions.

À l'Université Bishop, l'association étudiante n'a même pas réussi à recueillir les 150 signatures requises pour organiser un vote de grève!

À Concordia, l'université populaire du centre-ville qui est la version anglophone de l'UQAM et qui a connu bien des remous sociaux, les cours n'ont jamais été suspendus. Les profs que les grévistes ont empêchés de donner leurs cours ont donné des examens en ligne ou des travaux à faire à la maison.

À McGill, peu de perturbations. Au plus fort du mouvement (autour du 22 mars), quelques milliers d'étudiants ont participé au boycottage, notamment à l'École de travail social, en science po et en lettres. Il reste, selon l'université, une quarantaine de grévistes concentrés dans les «gender studies» et... en littérature française.

Comment expliquer cette différence entre des jeunes du même âge, qui vivent dans la même ville et partagent les mêmes loisirs et les mêmes activités culturelles?

La première raison est d'ordre politique. Les non-francophones, en général réfractaires au PQ, n'éprouvent pas envers le gouvernement Charest la même hargne que leurs compatriotes francophones. Or, ce conflit étudiant est puissamment alimenté par la mouvance péquiste, tandis que les jeunes les plus militants subissent l'influence de Québec solidaire et des organisations anarcho-communistes.

Bien qu'il existe une solide et ancienne tradition de gauche chez les Anglos-Montréalais, ces derniers hésiteront à adhérer à des mouvements qui, comme QS, prônent aussi l'indépendance du Québec. Cette gauche-là est chez elle au NPD, mais ne participe pas à la fronde, car le NPD s'est (fort intelligemment) dissocié de la fronde étudiante.

L'autre raison tient au fait que les Anglo-Québécois de vieille souche ont toujours valorisé l'éducation, bien davantage que les francophones. C'est aussi le cas des allophones, ces fils d'immigrants qui se sont expatriés pour donner un meilleur avenir à leurs enfants. Il s'en trouve un très grand nombre à Dawson et à Concordia.

Les francophones, on le sait, sont proportionnellement moins enclins à valoriser l'éducation. En 2010, chez les 25-34 ans québécois, 24,8% des francophones avaient un diplôme universitaire. C'était le cas de 34,9% des anglophones... et de 37,4% des allophones.

Les francophones sont, de tous les Canadiens, ceux qui lisent le moins de livres et qui s'informent le plus par la télé. Ils sont non seulement plus nombreux à «décrocher» ou à se contenter d'un diplôme inférieur, ils sont aussi plus portés à allonger indûment la durée de leurs études collégiales ou universitaires. D'où le fait que tant d'étudiants n'aient pas hésité à compromettre leur semestre d'hiver en boycottant leurs cours... Bof, un semestre de plus ou de moins!