Les deux dernières semaines du premier tour de la campagne présidentielle française avaient quelque chose de surréaliste.

Alors que seuls cinq candidats (Sarkozy, Hollande, Mélenchon, Le Pen et Bayrou) dépassaient la barre des 10% dans les sondages, les chaînes de radio et de télévision ont été forcées d'accorder l'égalité du temps de parole et de la visibilité aux 10 candidats qui avaient fait acte de candidature... et dont la moitié n'a jamais dépassé la barre des 3%!

Ce qui veut dire que les médias devaient accorder autant d'importance à Jacques Cheminade, un hurluberlu que les derniers sondages créditent de ... zéro appui, qu'à Nicolas Sarkozy ou à François Hollande!

Il serait étonnant que cette règle imposée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel survive à cette campagne, tant elle va contre la liberté de presse et le simple bon sens. (Heureusement, la presse écrite échappait à cette directive et pouvait exercer son jugement éditorial).

M. Sarkozy n'avait pas tort de se plaindre de ce que la règle de l'égalité du temps de parole lui fût particulièrement préjudiciable («Ils sont neuf contre moi!», disait-il cette semaine), puisque par définition, le président sortant, quel qu'il soit, est la principale cible des candidats de l'opposition.

L'autre incongruité de cette campagne découle du système d'accréditation des candidats, qui devaient recueillir la signature de 500 élus pour se qualifier. Par un mystère propre à la politique française, le dénommé Cheminade, qui se présente à chaque présidentielle depuis 1995 pour disparaître complètement du paysage entre les élections, n'a eu aucun mal à obtenir ses 500 signatures, alors que Marine Le Pen, qui s'est maintenue autour de 15% dans les sondages, a peiné jusqu'à la dernière minute à en récolter autant.

La résistance à Mme Le Pen peut s'expliquer par le refus des maires, tant de gauche que de droite, de donner un coup de pouce à une candidature qui dérangeait leur camp. Mais comment expliquer qu'il s'en trouve toujours 500 pour avaliser, bon an mal an, la candidature dudit Cheminade, un disciple de la secte conspirationniste de l'Américain Lyndon LaRouche (lequel professe, entre autres sornettes, que la reine d'Angleterre est à la tête du cartel mondial de la drogue) ...?

La multiplication des «petits candidats» a quand même permis aux Français de découvrir toute une galerie assez pittoresque de personnages, en particulier Philippe Poutou, qui a succédé à Olivier Besancenot à la tête du Parti Anti-capitaliste. Dans ce groupe de candidats dont six se proclament «de gauche», Poutou est le seul ouvrier. Militant syndical chez Ford, il n'a pas le savoir-faire politique de Besancenot, mais il a charmé les téléspectateurs par sa spontanéité et son évidente sincérité.

Autre nouvelle venue, Nathalie Arthaud, la jeune, vive et jolie représentante des trotskystes de Lutte ouvrière, une enseignante de lycée qui incarne un changement fort bienvenu, après l'éternelle et lugubre Arlette Laguillier.

Il y a aussi Nicolas Dupont-Aignan, un gaulliste antieuropéen qui propose... le retour au franc. Et il y a, bien sûr, Eva Joly, la très gaffeuse candidate des Verts-Europe-Écologie. L'ancienne juge d'instruction qui s'était souvent distinguée, notamment dans l'affaire Elf, par son intransigeance proche du sectarisme, et que Chabrol a immortalisée sous les traits d'Isabelle Huppert dans L'ivresse du pouvoir, a atterri pour son plus grand malheur à la tête des Verts et a rapidement irrité tout le monde en faisant la leçon aux Français dans son rugueux accent norvégien. Cantonnée aux environs de 2%, elle a terminé la campagne en déboulant un escalier au sortir d'un cinéma, ajoutant une note pitoyable à une prestation qui était déjà pathétique.