La Libye «libérée» s'enfonce dans l'anarchie: affrontements meurtriers entre clans régionaux et milices armées jusqu'aux dents, pratique de la torture, montée en flèche de l'islamisme radical et de la tentation djihadiste... Devant ce gâchis dont ils sont responsables, que font les pays de l'OTAN?

Rien. Pas un geste, pas un mot. C'est le cas du Canada comme des autres, mais à ce chapitre, c'est le silence assourdissant de la France qui surprend le plus.

En France, on est en pleine campagne présidentielle - une période de débats s'il en est une. Mais qui s'intéresse encore à la Libye? Personne. En fait, dans ce pays qui se croit toujours investi d'une mission internationale (et qui d'ailleurs en a une), la politique internationale a été totalement absente des débats de la campagne.

«La polémique sur la viande halal a tenu plus de place que l'international... c'est une honte!», fulmine le commentateur Bernard Guetta dans Libération.

Il est normal que l'électeur soit essentiellement préoccupé par les problèmes domestiques, c'est ce qui se passe dans tous les pays, en particulier en Amérique du Nord. Mais de la France, on attendait plus et mieux.

Or, aucun des candidats, pourtant presque tous issus d'une classe instruite et cultivée, n'a abordé à fond les questions internationales, sinon, dans le cas de Hollande, pour s'engager à ce que le pays se retire d'Afghanistan prématurément (contrairement à ses engagements) et renégocie son statut dans l'OTAN.

Même les journalistes, dans leurs interviews, ne soulèvent pas les enjeux internationaux. On a parlé de l'Europe, certes, mais uniquement sous l'angle de l'intérêt de l'Hexagone. Le reste du monde n'existe pas.

Le silence de la France, devant le chaos libyen, a quelque chose de particulièrement scandaleux, car c'est précisément la France qui a été le fer de lance de l'offensive contre le régime Kadhafi.

Sous l'influence d'un Bernard-Henri Lévy encore plus exalté qu'à l'ordinaire, passant outre au Quai d'Orsay dont les avis auraient sans doute été mieux informés, le président Sarkozy a pris le parti d'une bande de rebelles dont on ne connaissait rien et a réussi à convaincre Londres et Washington de le suivre. Un beau cas de leadership... ou d'aveuglement collectif.

Tout le temps qu'a duré cette opération improvisée, Nicolas Sarkozy a joué les chefs de guerre et s'est complu dans le rôle de «libérateur de peuple», pendant que les Français se rengorgeaient de voir le tricolore flotter à Benghazi.

Et puis, une fois le pays dévasté par les frappes aériennes et livré à ses démons, les «libérateurs» occidentaux ont rangé leur matériel de guerre et sont partis, abandonnant la Libye aux mains d'un gouvernement transitoire incompétent, obscurantiste et incapable de ramener un semblant d'ordre.

Exit les apprentis sorciers... Et tant pis si l'offensive anti-Kadhafi, en plus de plonger la Libye dans le chaos, a causé la perte du Mali. Les Touaregs qui avaient été mercenaires de Kadhafi sont redescendus au Sahel, avec leurs armes et de nouveaux alliés islamistes qui ont instauré la charia dans le nord du Mali.

L'implosion de la Libye a des ondes de choc qui déstabilisent toute la région et dont des pays comme le Niger et le Burkina Faso seront probablement victimes à leur tour, selon Antoine Glaser, grand spécialiste du Sahel. Ces zones pauvres, dans lesquels des pays comme le Canada ont investi des millions pour tenter d'endiguer les forces d'Al-Qaïda, seront bientôt un repaire de djihadistes et de preneurs d'otages... qui disposent au surplus des armes dérobées dans les arsenaux de Kadhafi.

Ces conséquences étaient pourtant prévisibles. Mais les ego politiques ont prévalu sur la raison.