Je suis allée récemment au Portugal. Ce beau pays au peuple souriant a gardé le charme qui a toujours séduit ses visiteurs, mais il y règne aujourd'hui une sorte de tristesse qui n'a rien à voir avec la saudade, cette « nostalgie » qui a engendré les poignantes mélopées du fado.

La crise financière qui plombe l'Europe du Sud s'est violemment abattue sur le Portugal. Taux de chômage à 14,8% - c'est 10% de moins qu'en Espagne, mais le Portugal partant d'un niveau de vie plus bas, la population est plus durement frappée. Salaire minimum : moins de 500 euros par mois, une pitance en Europe. Et la TVA est à 23%...

Le Portugal n'était pas, comme la Grèce, coupable d'avoir élevé l'évasion fiscale au rang de vertu, mais qu'importe la cause du mal, la potion est du même ordre. Le gouvernement a dû accepter un plan d'austérité budgétaire draconien. Les salaires, dans la fonction publique, ont été sabrés de 28%. Les banques ne prêtent plus qu'aux riches, et les petites entreprises ferment...

Les faillites ont augmenté de 140% depuis l'an dernier dans le secteur de la restauration et de l'hôtellerie - une catastrophe, dans un pays dont le tourisme est l'une des principales industries.

À Lisbonne, la lumineuse capitale, les signes de la crise sont partout. Dans les façades décrépites, dans les innombrables panneaux « à vendre », dans les magasins aux fenêtres barricadées... Même les rues qui croisent l'élégante avenue Garrett, dans le quartier chic du Chiado, portent les stigmates de la dévastation.

Face à la crise, les Portugais n'ont pas réagi comme les Espagnols, leurs bouillants voisins. Il n'y a pas eu de mouvement « Occupy », pas de très grandes manifestations de colère. Ce peuple qui naguère envoyait ses intrépides explorateurs sur toutes les mers du monde s'est résigné... mais en vérité, que pouvait-il faire d'autre, face à Merkel, à Moody's et au FMI ?

« Nous ne sommes pas des Méditerranéens », me dit une sociologue de l'Université de Lisbonne. « Nous sommes plus réservés que les Espagnols. Plus pacifiques aussi. »

Cela n'empêche pas l'amertume, qui affleure lourdement au hasard des conversations.

La restauratrice que nous félicitons pour la saveur de ses plats - on mange merveilleusement bien au Portugal, même et peut-être surtout dans les plus modestes troquets - a un petit sourire triste : « C'est tout ce qu'il nous reste... »

Le même autodépréciation (totalement injustifiée) se retrouve dans cette remarque souvent entendue : pour le reste du monde, le Portugal se confondrait avec l'Espagne... Nous nous récrions : qui donc peut croire cela? Mais oui, nous répond-on, on est tout petit, juste 10 millions... Nous nous récrions encore, mais rien n'y fait. Le voisin pèse quatre fois plus lourd, même s'il y a des siècles que la paix est revenue à la frontière et que, sa langue et son histoire aidant, le Portugal a une identité très distincte, et d'ailleurs admirée à travers le monde.

L'Europe? La mauvaise marraine a succédé à la bonne, dont les subventions tombaient du ciel comme de la manne. Un jeune homme d'affaires de la vallée du Douro : « Bruxelles brime notre développement, on a plein de ressources ici mais tout est quantifié... ».

On entend les mêmes récriminations chez les agriculteurs français, mais ici le ressentiment, tout rentré soit-il, et même exprimé avec un sourire désarmant, est aussi vif, car le Portugal est dans l'oeil de la tempête. Nombre d'étudiants sans perspective d'avenir rêvent de New York mais finiront sans doute, comme nombre de Portugais, par s'exiler au Brésil, l'enfant obèse de la svelte mère-patrie...