Le film qui prétend dépeindre la vie de Margaret Thatcher ne fait pas justice à son oeuvre, ni même à sa personnalité réelle, puisque l'essentiel de ce mauvais biopic tourne autour de scènes hallucinatoires, le récit politique se métamorphosant constamment, à travers des flash-backs exaspérants, en mélodrame sur la déchéance de la vieillesse.

Ce film a été fait par des femmes. Ont-elles travesti le sujet parce qu'elles étaient naturellement enclines à privilégier le registre de l'émotion et incapables d'aborder des réalités politiques? Ou parce qu'ayant de l'aversion pour le personnage politique, elles se sont repliées sur la fiction?

On passe à la vitesse de l'éclair sur sa lutte de pouvoir épique avec les syndicats, en particulier ceux de l'industrie minière. On ne mentionne pas ses rapports conflictuels avec la City de Londres, dont elle allait abolir le conseil municipal. On mentionne à peine ses coupes sauvages dans l'éducation et la santé et sa fermeté face au terrorisme de l'IRA. Pas un mot sur ses positions antagonistes sur l'Europe et l'euro, dues en partie à la crainte de voir ses réalisations diluées dans l'Europe social-démocrate.

Par contre, on insiste indûment sur la guerre des Malouines, une affaire mineure qui n'a eu aucune incidence durable sur la société britannique (mais évidemment, les batailles navales sont spectaculaires...).

Mais surtout, on occulte complètement le legs majeur de Thatcher - un héritage précieux, sur lequel Tony Blair s'est appuyé pour achever cette oeuvre de modernisation de l'économie : l'émergence de la classe moyenne dans ce pays figé entre la culture ouvrière (fièrement portée, par exemple, par les syndicats miniers) et les privilèges de l'aristocratie et de la grande bourgeoisie.

Cela allait momentanément déchirer le tissu social, mais permettre enfin un début de mobilité sociale, dans une Grande-Bretagne où les classes étaient hiérarchisées plus que dans tout autre pays européen, et où l'on est (encore aujourd'hui) étiqueté pour la vie en fonction de son accent, de son milieu d'origine, des écoles qu'on a fréquentées.

Mme Thatcher, qui elle-même venait de la petite classe moyenne (des parents épiciers, pas pauvres mais qui trimaient dur), allait inlassablement promouvoir l'accès des petits salariés à la propriété, brisant le monopole de la « gentry », jusque là principale détentrice du pouvoir foncier. Elle a aussi privilégié le « mérite » dans ses nominations, allant là aussi contre la tradition qui réservait les hauts postes aux diplômés des universités d'élite.

Autre exploit, Mme Thatcher fut la première femme au monde à accéder au gouvernement par sa force personnelle, sans y être amenée par sa famille ou son appartenance à l'élite.

Golda Meir, en Israël, venait de la classe dirigeante d'une société neuve et idéaliste. Indira Gandhi était fille d'ancien premier ministre. Mmes Bandanaraike, au Ceylan, et Aquino aux Philippines, de même que Benazir Bhutto au Pakistan, sont toutes venues à la politique par solidarité familiale, poursuivant le combat qui d'un mari, qui d'un père.

Détail plus important encore, Thatcher fut la première femme à prendre la tête d'un gouvernement démocratique, après s'être pliée à la dure ascèse du combat électoral.

Dans le règne de Thatcher, il y eu le pire et le meilleur. Était-elle, comme le veut le cliché, « une femme avec des valeurs d'homme »? Cela présupposerait que les femmes sont naturellement, génétiquement en quelque sorte, plus portées que les hommes à la compassion et aux valeurs de gauche. On devrait savoir que c'est de la foutaise, après avoir vu aller les dames du Tea Party, Marine Le Pen et Angela Merkel !