J'ai attendu que les lecteurs aient pu voir La Dame de fer pour parler de Margaret Thatcher. Ce doit être fait maintenant, ce film ayant occupé les écrans pendant des semaines.

Ai-je aimé le film? Non. Mais d'abord, une fois n'est pas coutume, je reprends ici une chronique que j'ai écrite en novembre 1990, au moment où Mme Thatcher quittait la politique.

« J'ai vu Margaret Thatcher en personne à deux reprises. La première fois, c'était lors d'une conférence de presse à Ottawa sur l'Afrique du Sud. La deuxième fois, à Bruxelles, lors d'une conférence de presse clôturant la réunion des chefs de gouvernements membres de l'OTAN.

Les deux fois, le même détail m'a frappée: elle était plus jolie et plus mince que son image télévisée. Elle avait la peau claire, presque transparente, et les yeux «pur bleu» qu'on associe à l'Anglaise typique.

Elle projetait, à cinq ans d'intervalle, exactement la même détermination, seule contre tous, absolument convaincue d'avoir raison. Elle se défendait, faut-il dire, admirablement bien, avec des arguments rationnels renforcés par l'expérience politique, et une ironie à la fois subtile et arrogante.

Au journaliste qui semblait contester ses positions, elle réservait un traitement qui n'était pas sans rappeler celui que Trudeau infligeait à la presse parlementaire: le regard bleu se fixait sur le malheureux individu, elle faisait mine d'étouffer un mince soupir devant un tel puits de bêtise, puis disait, de la voix douce et perfide de l'institutrice excédée qui puise une dernière fois dans ses réserves de patience: «Bon. Recommençons. Il est évident que...».

Mme Thatcher ne recourait jamais à l'insulte. Ce n'était pas nécessaire. Elle maniait l'ironie comme un petit couteau bien affilé, égratignant sa victime à coup de touches légères.

À Bruxelles, parlant de Hans Genscher, le ministre des Affaires étrangères de la RFA qui s'opposait à la politique britannique, elle disait doucement, avec juste un brin d'exaspération dans la voix: «Mais il est le seul, absolument le seul, à avoir cette interprétation... Il suffit de lire le texte (de la résolution).» Un auditeur non prévenu aurait alors vu dans le ministre Gensher rien de moins qu'une buse complète, ou un misérable analphabète. Elle concluait sa démonstration par un sourire enjôleur et carnassier.

Je restais bouche bée, saisie d'une stupeur quasi admirative devant cette femme capable de narguer à elle seule autant d'hommes à la fois, et cela, avec des armes si traditionnellement féminines - l'intimidation verbale, la manipulation par le regard, la voix et le sourire...

Je me suis souvent demandé s'il n'entrait pas une certaine dose de sexisme dans l'ardeur que tant de gens ont mise à la détester. Ce n'était pas seulement à ses orientations qu'on s'en prenait, c'était souvent à elle, à sa personnalité. Elle était loin d'être le seul chef de gouvernement occidental à promouvoir des politiques controversées, mais c'est elle qui fut la plus vilipendée.

Encore jeudi, au soir de sa démission, un animateur du Journal de la CBC demandait à un député tory: «Et alors, qu'est-ce qu'elle va faire maintenant, Mme Thatcher? Est-ce qu'elle va rester à la maison et casser les pieds à Dennis?». C'est une remarque qu'on ne se permettrait jamais au sujet d'un homme politique. Imagine-t-on un intervieweur demander si Jean Chrétien, une fois retraité, va «traîner à la maison et emm... Aline» ?

Revenons maintenant à 2012 et à cette fiction larmoyante, à la limite de l'indécence, qui gomme l'essentiel de la très grande carrière de Thatcher (qu'on l'aime ou pas) pour inventer de toutes pièces un personnage affaibli par la démence sénile.

La suite jeudi.