Thomas Mulcair ne l'a pas eu facile, depuis qu'il a démissionné du gouvernement Charest! En moins de cinq ans, il s'est fixé trois objectifs que le commun des mortels aurait jugé inatteignables.

2007: il conquiert l'imprenable bastion libéral du comté d'Outremont.

2011: fort de sa triple victoire dans Outremont et de son statut de leader adjoint, il vise l'implantation du NPD dans la province qui fut toujours, pour les néo-démocrates, une terre inconnue sinon hostile. La récolte, moissonnée par Jack Layton mais plantée par Mulcair, dépasse l'entendement.

2012: il vise le leadership du parti. Au départ, il est loin d'être gagnant. Pourtant, le voici sur le point, peut-être, de relever cet ultime défi. Tout peut arriver dans cette course à sept, mais pour l'instant, des sondages internes montrent que Thomas Mulcair est le meneur.

C'est la prise du grizzli, comme le surnommait le magazine L'actualité, dans un portrait du bouillant libéral devenu néo-démocrate.

Le grizzli est une bête dangereuse: d'une force exceptionnelle, il surgit à l'improviste avant d'attaquer, et il attaque sans merci.

Même le sourire de Thomas Mulcair a quelque chose de carnassier: on sent les dents longues, la mâchoire crispée, le regard qui, d'un instant à l'autre, peut passer de la jovialité à l'agressivité.

Ne nous étonnons pas de voir ses adversaires sortir leurs couteaux. Thomas Mulcair, par sa volonté d'amener le parti au centre et de relâcher ses liens avec le mouvement syndical, est l'ennemi juré des tenants de l'orthodoxie néo-démocrate.

Et il est l'homme que les conservateurs ne veulent pas voir à la tête de l'Opposition parce qu'il est le seul, de tous les candidats au leadership, qui serait de taille à faire face à Stephen Harper.

Deux sites web sont apparus la semaine dernière, écrits par de courageux militants anonymes venus de l'aile pure et dure du parti.

On lui reproche, en vrac, son appui (conditionnel) aux sables bitumineux, son opposition à la nationalisation des éoliennes et aux campagnes de boycott contre Israël, ses votes (comme libéral) pour le gel des droits de scolarité et le gel des salaires dans la fonction publique, et même son refus de contribuer financièrement à l'organisation nationale du NPD. (En fait, M. Mulcair contribue à la section québécoise du parti).

La rumeur la plus dommageable est venue d'un «dirigeant» conservateur, lui aussi anonyme, qui affirme qu'après avoir quitté le PLQ, M. Mulcair aurait voulu entrer chez les tories en échange d'un poste au conseil des ministres, ce que M. Harper aurait refusé.

Le fait que cette rumeur surgisse ces jours-ci, alors que les militants du parti s'apprêtent à voter, indique assez éloquemment que Mulcair est l'homme à abattre pour le gouvernement Harper.

M. Mulcair s'est brillamment défendu d'être un opportuniste politique: «Si je l'avais été, je ne me serais pas présenté dans Outremont pour le NPD». Touché.

Chose certaine, en tout cas, s'il remporte la course, il s'agira d'un exploit imprévisible au départ, alors que Brian Topp, le président du parti adoubé par les plus grosses pointures du NPD (Ed Broadbent, Roy Romanow) et apparemment le dauphin de Layton, semblait voguer vers une victoire facile.

Mais voilà, M. Topp, le prototype même du «backroom boy», l'éternel stratège de l'ombre, s'était toujours défilé quand il s'agissait de descendre dans l'arène et de faire face à l'électorat. À l'âge mûr de 52 ans, cet homme qui voulait être général n'avait jamais connu le feu et n'avait jamais tenu un fusil dans les mains.

Le grizzli l'attendait au tournant, fort d'une expérience politique de deux décennies dans les tranchées du combat politique...