Tous ceux qui sont le moindrement familier avec la famille Trudeau savent que Justin Trudeau, ce jeune homme charmant, naïf et sincère qui carbure aux émotions, est le fils de sa mère.

De ce père qu'il admire mais auquel il ne ressemble pas, il n'a hérité ni la détermination de fer, ni l'intelligence cérébrale et acérée, encore moins l'instinct politique du tueur.

C'est ce qui rend particulièrement bizarre cette fixation que les libéraux du Canada anglais ont sur Justin Trudeau, en qui certains voient leur futur chef depuis le jour des obsèques de Pierre Elliott Trudeau, comme si un vestige de leur ancien attachement à la monarchie les poussait à créer une dynastie! Mais l'habit ne fait pas le moine, et le patronyme non plus.

À son crédit, il faut bien noter que Trudeau Fils n'a jamais partagé les illusions de ses admirateurs d'outre-Outaouais. Personne, au Québec, ne lui a déroulé le tapis rouge. Modestement, et avec ténacité, il a accepté de faire ses preuves en se présentant dans Papineau, un comté qui n'était pas gagné d'avance et où, comme il le rappelle à bon escient, la majorité des nouveaux citoyens n'avait aucun souvenir de son père.

Ces dernières années, il se disait «pas encore prêt» à postuler le leadership, et cette fois, il passera encore son tour car il veut être présent auprès de ses deux jeunes enfants. Sage décision.

Justin Trudeau sera un député empathique et consciencieux, mais il n'a pas l'étoffe d'un leader... comme il l'a une fois de plus démontré en s'exclamant ingénument qu'il préférerait que le Québec devienne «un pays» plutôt que vivre dans un Canada «harperisé» ...

Trudeau père, évidemment, n'aurait jamais utilisé le concept positif et chaleureux de «pays» pour nommer l'indépendance: il aurait parlé, plus crument, plus précisément aussi, de «sécession» ou de «séparation». Mais surtout, il n'aurait jamais livré une pareille arme à ses adversaires et n'aurait jamais envoyé pareil boomerang dans son propre camp.

Entendons-nous. Justin Trudeau, à n'en pas douter, s'accommoderait d'un Québec indépendant, tout comme d'ailleurs son père, qui disait souvent qu'il «n'irai (t) pas se pendre au grenier» si le Québec faisait sécession. Cela n'aurait pas été son choix, mais ce Montréalais de vieille souche qui, quoiqu'en disent ses détracteurs, était très profondément québécois, ne se serait pas imaginé vivre ailleurs. D'ailleurs, y a-t-il beaucoup de fédéralistes qui voudraient se déraciner si le Québec devenait indépendant? Personnellement, je n'en connais pas.

Mais là n'est pas la question. La remarque de Justin Trudeau, qui aurait fort bien passé dans un dîner entre amis, était explosive dans la bouche d'un membre en vue du Parti libéral du Canada, à plus forte raison du fils aîné de Pierre Elliott Trudeau, sans compter qu'elle était extraordinairement insultante pour l'électorat conservateur et suintait le mépris envers l'Ouest du pays.

Cela illustre une stupéfiante absence d'instinct politique, cette qualité qui fait les vrais leaders et leur permet de distinguer entre ce qu'on se raconte entre copains et ce que l'on doit dire en public.

Au Canada anglais, cette remarque a eu l'effet d'une petite bombe. Au Québec, elle a apporté des munitions au Parti québécois, qui mise justement, ces temps-ci, sur la carte de l'opposition à Harper, et sur le mythe qu'il y aurait un fossé infranchissable entre les «valeurs québécoises» et les «valeurs conservatrices du gouvernement Harper» ... comme si ces dernières reflétaient la totalité du «Rest of Canada» et comme si elles étaient totalement absentes du Québec!

Toute une gaffe, en somme, et à double tranchant en plus!