«J'aime ma langue dans ta bouche»... Le slogan, gentiment coquin et accrocheur, était de belle venue. Et l'idée derrière, excellente.

Les organisateurs du marathon du week-end dernier en hommage à la langue française ont compris que l'on n'attire pas les mouches avec du vinaigre, et qu'il est plus utile et plus sain de faire aimer le français et d'en vanter les beautés que de multiplier les interdits et les obligations.

Ainsi donc, pendant 12 heures, plus de 70 artistes de divers horizons se sont succédé sur la scène du Lion d'Or pour chanter et célébrer le français, à l'invitation du Mouvement Montréal français.

Il y avait les classiques «de chez nous» (Paul Piché, Yves Beauchemin, Pierre Curzi, etc.), mais aussi l'humoriste Boucar Diouf, une chanteuse d'origine chinoise qui reprenait des airs de Piaf, le dramaturge kabyle Karim Akouche...

On pense à rééditer l'expérience, en sortant cette fois de l'est de la ville pour monter un spectacle dans un quartier multiethnique comme Côte-des-Neiges ou Saint-Michel. Autre idée excellente. C'est de cette façon, avec de l'art et du plaisir, que l'on peut le mieux attirer les immigrants vers le français.

C'est beaucoup plus intelligent, comme stratégie, que de passer son temps à semoncer les immigrés qui osent apprendre l'anglais ou qui n'apprennent pas le français assez vite. Plus intelligent que d'empêcher leurs enfants de choisir leur cégep après avoir fait tout leur primaire et tout leur secondaire en français.

Mieux vaut, pour filer la métaphore du slogan, multiplier les «French kiss» que de leur faire avaler de force le français, comme si c'était une potion pharmaceutique prescrite par devoir civique.

Dommage tout de même que le MMF ait politisé une manifestation qui, pour être efficace et significative, aurait dû s'élever au-dessus des partis. On y avait invité les «solidaires» et les péquistes, mais personne du Parti libéral. La ministre des Affaires culturelles, Christine St-Pierre, a déclaré qu'elle serait volontiers allée au Lion d'Or... si on l'avait invitée.

Pourquoi cette exclusion? Pourquoi ce sectarisme, quand il s'agit de la langue commune du Québec? Aucun parti, même pas ceux qui en font un objet de plate-forme électorale, n'a le monopole sur la langue française, ce trésor national.

Ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas tenir à la Loi 101, bien au contraire. Mais est-il nécessaire d'aller plus loin? D'empêcher de jeunes adultes immigrés (de même d'ailleurs que les francophones de souche!) de fréquenter un cégep anglais ou de forcer des petits dépanneurs qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts à entrer dans la machine bureaucratique pour obtenir des «certificats de francisation»?

De toute façon, ce n'est pas dans le tout petit commerce - cible principale de nos grands justiciers - que se joue l'avenir de la langue française.

Il se joue, par exemple, dans les dernières statistiques démographiques, qui montrent que l'Île de Montréal continue à perdre ses classes moyennes francophones au profit de la banlieue.

En 2010-11, 22 000 personnes ont quitté l'île pour le «450». Chaque année, depuis dix ans, Montréal perd de 19 000 à 24 000 citoyens.

Montréal ne se dépeuple pas pour autant, grâce aux naissances et aux immigrants... Mais comment ces derniers pourraient-ils adopter le français comme langue d'usage, s'ils sont entourés d'autres immigrants, dans une ville où les francophones de souche seront de moins en moins nombreux?

Ce n'est pas une nouvelle politique linguistique qui peut remédier à cette situation. Ce sont des mesures touchant le logement, l'accès à la propriété, les espaces verts, les transports... bref, la qualité de vie.