Nos acteurs «mangent leurs mots», et leurs répliques sont souvent inaudibles. C'est ce qu'écrivait récemment Paul Warren, un professeur de cinéma retraité, dans une lettre ouverte au Devoir.

Je suis bien d'accord avec lui. Il y a longtemps que je remarque cette déplorable tendance, qui n'a fait que s'amplifier avec le temps.

Dommage cependant que M. Warren ait ciblé Le Vendeur, un film qui, à ce chapitre, respecte beaucoup mieux le français que la moyenne des productions québécoises. À l'exception du bref dialogue que M. Warren a très justement relevé, le niveau de langue du Vendeur est tout à fait correct. Il correspond parfaitement au milieu social décrit, et les acteurs articulent bien.

Hélas, ce n'est pas le cas de tous les films québécois, et notons bien que je ne parle ici que des meilleurs. Dans Café de Flore, du talentueux Jean-Marc Vallée, autant les dialogues de la partie parisienne sont clairs, autant la partie montréalaise est bourrée de répliques incompréhensibles. Kevin Parent, qui interprète le personnage central, est la plupart du temps inaudible. Non seulement il mâchonne les mots et les syllabes, il les avale.

On retrouve dans ce film cette manie courante de faire parler les personnages au-dessous de la langue qu'ils parleraient dans la vie réelle - plus mal que nature, autrement dit.

Ainsi, la copine de l'épouse délaissée lui lance, lors d'une conversation amicale: «Va chier». Cette jeune femme est, à ce qu'on sache, instruite et plutôt raffinée. Pourquoi lui mettre dans la bouche une expression qu'on entend rarement dans le milieu où vit ce personnage?

Dans Monsieur Lazhar, ce phénomène est moins marqué car l'acteur principal est un Maghrébin qui a échappé au syndrome de la «bouche molle». Autour de lui, toutefois, on constate une disparité anormale entre les niveaux de langue des autres personnages.

Problème analogue dans Incendies, la magnifique épopée de Denis Villeneuve. Pourquoi, lorsqu'ils se querellent, les deux enfants de l'héroïne - des jeunes élevés à l'évidence dans un milieu bourgeois par une mère libanaise qui parlait un français impeccable - parlent-ils joual en sacrant comme des charretiers? Non seulement ces échanges doivent-ils être sous-titrés dans les autres pays francophones, mais il s'agit ici d'une erreur sociologique.

J'ai déjà remarqué ce phénomène affligeant dans les téléromans. Dans Scoop, le reporter-vedette (Roy Dupuis) parlait comme un demeuré - bien des crans au-dessous de la langue du milieu journalistique réel.

Pourquoi les médecins et les infirmières de la série Urgence s'exprimaient-ils par des bouts de phrase informes, quasi infantiles? Dans la vraie vie pourtant, ce n'est pas ainsi que parlent les professionnels de la santé, même dans l'atmosphère survoltée des salles d'urgence. (Mes exemples datent; j'imagine qu'aujourd'hui c'est encore pire, mais pour préserver ma santé mentale, je ne regarde plus les téléromans).

Des scénaristes m'ont déjà confié que les acteurs, pour jouer des rôles «québécois», doivent «désapprendre» ce qu'ils ont appris dans les écoles de théâtre: oublier la diction, cesser d'articuler, mâchonner les syllabes... et cela, même quand le rôle ne requiert pas une connaissance du joual, ce qui serait le cas si l'on joue, par exemple, dans une pièce de Michel Tremblay.

Ce fléau est-il propre au Québec? Je me le demande. Dans certains films français qui se veulent d'avant-garde, les acteurs escamotent les syllabes. Dans Shame, le film branché de la saison, plusieurs répliques de Michael Fassbender sont incompréhensibles même pour l'oreille exercée à l'anglais...

Faut-il «parler mou», voire «parler bébé», pour «faire vrai» ?