La fin de l'année aura été fertile en beaux films, du somptueux Melancholia au délicieux The Artist, en passant parLa peau que j'habite.

Je m'étais juré, après Antéchrist, que je ne reverrais plus jamais un autre Lars von Trier, tant j'avais été écoeurée par la scène où Charlotte Gainsbourg s'auto-excise après avoir planté un vilebrequin dans la jambe de son mari. Fort heureusement, ma résolution n'a pas tenu. Melancholia est une splendeur, une froide allégorie de la dépression qui n'émeut pas, mais dont la beauté vous glace d'admiration.

Le dernier Almodóvar est peut-être le plus grand film du cinéaste espagnol. On y retrouve ses obsessions coutumières: la mère omniprésente, la transsexualité, l'absence d'hommes «normaux». Mais il y a plus. Loin de n'être qu'un remake de l'histoire classique du savant fou, c'est une fable poignante sur l'identité et sur la vie intérieure, précieusement sauvegardée même sous la loupe d'un tortionnaire qui ne vous laisse aucune intimité. Malgré la métamorphose, Vincente reste lui-même, étant allé chercher par le yoga, seule arme à sa portée, de quoi préserver son identité, comme d'ailleurs on le voit aux moyens, très «masculins», qu'il prend pour s'échapper.

Ô surprise, un petit film québécois - le premier long métrage d'un jeune Chicoutimien inconnu - a réussi à se tailler une place parmi tous ces chefs-d'oeuvre du cinéma international. Primé dans plusieurs festivals, applaudi (rare exploit) tant par le grand public que par la critique, Le vendeur est la confirmation, s'il en fallait une, qu'il n'y a pas de mauvais sujets, seulement de mauvais auteurs.

C'est un film social, dont la sobre retenue en dit beaucoup plus long sur les effets dévastateurs du capitalisme sauvage que les slogans des «indignés» trop bavards. La papetière ferme, 500 travailleurs sont dans la rue et le malheur s'étend en cercles concentriques à tous les commerçants qui vivaient des retombées de l'unique employeur local, des restaurants aux stations-service en passant par les vendeurs d'autos... Les voici justement qui attendent le client invisible en faisant les cent pas dans la salle d'exposition. Seul le vendeur étoile (merveilleux Gilbert Sicotte) réussit encore, à force de ruses et de charme, à amener le chaland à acheter un nouveau pick-up, et tant pis s'il s'agit d'un ouvrier sur le point de perdre son gagne-pain.

C'est un film sur le Québec profond (le tournage a eu lieu à Dolbeau-Mistassini), sur ces bourgades isolées sous la neige où le VUS et la motoneige ne sont pas les joujoux de luxe qu'ils sont pour les urbains, un film sur la gentillesse réservée d'un peuple taiseux, sur du bon monde à la vie dure, sur la joie et la fierté du travail bien fait, même quand on n'est qu'un vendeur d'autos, sur la désespérance qui vient avec la perte de l'emploi. Le film est lent, comme nos hivers, comme la vie monotone de Marcel, que seuls éclairent les succès de vente et la présence lumineuse d'une fille et d'un petit-fils.

C'est un film sur le froid et la neige, sur les gestes liés à l'hiver - le pelletage, la souffleuse, les parkas, la neige qui brille sous les lampadaires, craque sous les pas et ensevelit les autos. On se laisse aller au rythme lent de ces journées d'hiver en sentant que oui, c'est bien là le nom de notre pays.

C'est avec cette humble matière que Sébastien Pilote a construit un film d'une finesse inouïe, tendre et sensible, un film d'une simplicité déchirante.