La ville de Toronto n'est jamais en reste quand il s'agit de multiculturalisme dans sa version «hard».

La commission scolaire de la Ville reine vient d'approuver l'ouverture d'une école secondaire «pour noirs seulement», avec programme adapté. Ainsi, les cours d'histoire et d'anglais ont été modifiés pour en retrancher le «biais européen», et le cours de maths utilisera des méthodes «culturellement pertinentes» (ah bon?).

Il existe déjà, depuis deux ans, une école primaire «africentrique» où, dit-on, les résultats des élèves sont plus élevés que ceux des jeunes noirs qui fréquentent des écoles pluralistes.

L'affaire est très controversée. Nombre de Torontois considèrent, non sans raison, qu'il s'agit là d'une forme de ségrégation. Pire, d'une ségrégation qui, au surplus, est en train de faire des petits même dans des communautés faciles à intégrer et qui ne souffrent d'aucune discrimination. À la demande de certains parents portugais, la commission scolaire a accepté d'instituer un groupe d'étude sur la possibilité d'ouvrir une école portugaise pour Portugais exclusivement, avec programme centré, j'imagine, sur l'histoire du Portugal et du Brésil...

Où s'arrêtera cette folie typiquement «canadian»? Dans quel autre pays verrait-on les autorités scolaires instituer des écoles séparées en fonction de la couleur de la peau ou de l'origine ethnique?

Il faut dire que Toronto n'en est pas à son premier dérapage. C'est de là qu'était parti, en 2004, un mouvement visant à légaliser le recours à la charia, la loi islamiste, pour le règlement des litiges familiaux. L'une des championnes de cette belle cause était Marion Boyd, une féministe radicale qui avait été solliciteur général dans le gouvernement néo-démocrate de Bob Rae... (Quel phénomène troublant que cette alliance des féministes radicales et de l'islam politique!)

Heureusement, le mouvement a fait long feu, mais le simple fait qu'il ait déjà existé en dit long sur les excès que peut engendrer une conception dévoyée du multiculturalisme. Notons que nombre de musulmans se trouvaient à l'avant-garde de l'opposition à l'introduction de la charia dans la justice civile ontarienne.

Mais revenons à l'«africentrisme». L'école secondaire n'est pas encore en opération, on en est toujours à la recherche de locaux adéquats, idéalement situés près des districts où vit la minorité noire défavorisée. L'école primaire, qui compte 185 élèves, a une liste d'attente de 20 personnes.

Là où le bât blesse, c'est que l'expérience est un succès, académiquement parlant. Les élèves ont des résultats plus élevés que la moyenne provinciale aux tests standardisés. Leurs profs, tous noirs, servent de «role models». Ils ont repris confiance en eux... Dans le hall trônent des photos de Mandela et de Martin Luther King. Cette école publique a quelque chose d'une école privée: les élèves portent fièrement un uniforme bleu et blanc sous une veste à motifs africains. Si vous étiez une mère de famille noire monoparentale et démunie, ne seriez-vous pas tentée par cette école?

Car il y a tout de même un dilemme, là-dedans, et il est angoissant. La lutte au décrochage, qui est de l'ordre de 40% dans la communauté noire de Toronto, passerait-elle par la ségrégation et l'exaltation de l'identité raciale?

Par contre, comme le disait au Globe and Mail Kevin Gosine, un sociologue issu de la même communauté, «comment les jeunes qui auront fait toutes leurs études dans des institutions africentriques pourront-ils s'adapter à une société pluraliste?»

Comment se fait-il que nos systèmes scolaires n'aient pas pu conjuguer l'aide aux enfants les plus vulnérables et le principe de l'intégration? N'est-ce pas plutôt sur le modèle inclusif qu'il faut travailler?